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Descartes, ou l’éther, comme il vous plaira de la nommer, est remplacée par votre lumière. Que devient donc le vide ?… » Il se hâte d’ajouter modestement : « Ce trait sent bien le jeune homme qui, pour avoir pris une légère teinture de physique, se mêle de proposer des problèmes aux maîtres de l’art. » L’objection avait pourtant sa valeur, et le cénacle de Cirey n’était guère en mesure d’y répondre. Un autre jour, Frédéric rend compte à Voltaire et à Mme du Châtelet d’expériences qu’il vient de faire. Il a mis une montre ouverte dans la pompe d’une machine pneumatique pour voir si le mouvement s’accélère ou se retarde. Il étudie aussi la vertu productrice de l’air. Il a pris une portion de terre dans laquelle il a planté un pois ; il a enfermé le tout dans le récipient de la machine, et il a pompé l’air. « Je suppose, dit-il, que le pois ne croîtra pas, parce que j’attribue à l’air cette vertu productrice et cette force qui développent les semences. » Dès qu’on reçoit l’avis de ces expériences à Cirey, on se hâte de les y répéter. « La montre est actuellement sous cloche, écrit Voltaire au prince-royal ; je crois m’apercevoir que le balancier a pu aller peut-être un peu plus vite, étant plus libre dans le vide ; cette accélération est très peu de chose et dépend probablement de la nature de la montre. » Mais ce ne furent de la part de Frédéric que des velléités tout à fait passagères, et il ne s’appliqua pas à l’étude des sciences. Ce fut lui pourtant qui développa l’Académie de Berlin, et qui y appela un certain nombre de savans étrangers, parmi lesquels on peut citer Maupertuis, l’ancien ami de Voltaire, le marquis d’Argens, un Gascon qui au milieu d’une vie assez aventureuse s’était acquis un certain renom d’ingénieur, Algarotti, l’auteur du Newtonianismo per le donne, Euler, l’illustre géomètre que la Russie n’avait pas su retenir.

Cette académie des sciences était, pendant le séjour de Voltaire en Prusse, le siège de beaucoup d’intrigues ; comme il arrive d’ordinaire auprès des monarques absolus, la faveur du roi y était la principale affaire, et la science ne venait qu’en seconde ligne. de là mille petites querelles intestines que Frédéric, tout philosophe qu’il était, entretenait volontiers, parce qu’elles tournaient au profit de son autorité. C’est ainsi que commencèrent entre Maupertuis et Voltaire les célèbres démêlés à la suite desquels celui-ci quitta la cour de Prusse. Maupertuis était président de l’académie. Arrivé auprès de Frédéric avant Voltaire, il n’avait pas vu sans jalousie cet hôte illustre venir s’emparer de la familiarité du roi. Voltaire avait des faveurs qui étaient refusées à Maupertuis ; il était comme l’ami de Frédéric, dont Maupertuis n’était que le serviteur ; il régnait dans les petits soupers, où Maupertuis n’était pas même tou-