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tendre qu’il est en face de pétrifications véritables. « Cette grotte, dira-t-il, était habitée autrefois par une femme ; elle filait au rouet, son lard était pendu au plancher, elle avait auprès d’elle une poule avec ses poussins ; elle mangeait des pralines quand elle fut changée en rocher, elle, les poulets, son lard, son rouet, sa quenouille et ses pralines, comme la femme de Loth fut changée en statue de sel. »

Tout en tenant pour les « jeux de la nature, » Voltaire convient qu’ils ne peuvent tout expliquer ; il y a des empreintes de poissons tellement caractéristiques qu’on ne saurait les récuser. Il les présente du moins comme des cas isolés, des accidens fortuits. « On a trouvé dans les montagnes de la Hesse une pierre qui portait l’empreinte d’un turbot, et sur les Alpes un brochet pétrifié ; on en conclut que la mer et les rivières ont coulé tour à tour sur les montagnes. Il était plus naturel de soupçonner que ces poissons, apportés par un voyageur, s’étant gâtés, furent jetés et se pétrifièrent dans la suite des temps ; mais cette idée était trop simple et trop peu systématique. » Quant aux coquilles mêmes, Voltaire fait observer qu’il y en a très peu dont l’origine maritime soit incontestable. Les débris que l’on rencontre ne proviennent-ils pas de colimaçons, de moules, de crustacés ou de mollusques de rivière ? Il a fait chercher des fragmens de coquillages marins sur le mont Saint-Gothard, sur le Saint-Bernard, dans les montagnes de la Tarentaise : on n’en a pas découvert ; un seul physicien lui a écrit qu’il a trouvé quelques écailles d’huîtres pétrifiées vers le Mont-Cenis. Ces huîtres paraissent authentiques ; mais « est-ce une idée tout à fait romanesque de faire réflexion sur la foule innombrable de pèlerins qui partaient à pied de toutes les provinces pour aller à Rome par le Mont-Cenis, et qui portaient des coquilles à leurs bonnets ? » Ces coquilles de mer ont donc été perdues ou jetées par des pèlerins, et a une huître près du Mont-Cenis ne prouve pas que l’Océan indien ait enveloppé toutes les terres de notre hémisphère. » Et d’ailleurs, sans recourir aux pèlerins, n’y a-t-il pas d’autres causes qui peuvent déplacer des coquilles d’huîtres ? « Il n’y a pas longtemps, dit-il, que dans un de mes champs, à cent cinquante lieues des côtes de Normandie, un laboureur déterra vingt-quatre douzaines d’huîtres ; on cria miracle : c’étaient des huîtres qu’on m’avait envoyées de Dieppe il y avait trois ans. Je suis de l’avis de l’Homme aux quarante écus, qui dit que des médailles romaines trouvées au fond d’une cave à six cents lieues de Rome ne prouvent pas qu’elles aient été fabriquées dans cette cave. »

On parlait beaucoup du falun de Touraine, sur lequel l’attention avait été autrefois appelée par Bernard Palissy ; on prétendait qu’il