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plus tard on a pris l’habitude d’appeler le calorique. Il en fait une substance répandue partout, logée dans l’intérieur des corps. Quel effet produit elle sur les particules de ces corps? Elle les met dans un état incessant de mouvement et de vibration. « Les parties élémentaires, étant nécessairement très solides et se repoussant avec force proportionnellement à leur choc, doivent faire des vibrations continuelles dans les corps. » Supprimez cet agent intérieur, ce calorique matériel, et vous avez à peu près la notion de nos physiciens modernes, pour qui la chaleur est le mouvement même des molécules. Il est même des cas où Voltaire comprend la chaleur exactement comme nous le faisons. « Les rayons du soleil ou le feu ordinaire ajoutent de la matière ignée au fer; mais l’attrition causée par un caillou n’y ajoute que du mouvement sans nouvelle matière. Ce mouvement seul fait un si grand effet par les vibrations qu’il excite dans ce fer qu’une partie en tombe incontinent brûlante, lumineuse et vitrifiée. La conception de Voltaire devient surtout nette quand il l’applique aux corps gazeux, à l’air par exemple, parce que là en effet les phénomènes sont moins compliqués et plus faciles à saisir. Il se représente l’air comme un assemblage de petites balles élastiques qui rebondissent les unes contre les autres, et qui, ainsi écartées en tous sens, pressent également tout ce qu’elles rencontrent. N’est-ce point là précisément la façon dont nous concevons actuellement les fluides aériformes? « Si l’air était absolument privé de feu, dit-il, il serait sans mouvement et sans action. » Voilà ce que nous appelons le zéro absolu de température, dont la notion précise n’a été introduite dans la science que depuis vingt-cinq ans. On pourrait pousser encore ces rapprochemens, et il ne faudrait pas beaucoup d’artifice pour montrer dans le livre dont nous parlons des signes avant-coureurs de notre théorie moderne de la chaleur. Toutefois n’exagérons pas le mérite de l’Essai sur la nature du feu. Il faut se défier de cette facilité avec laquelle on trouve dans un écrit ancien des vérités qui n’ont été reconnues que plus tard; il y suffit souvent de quelques passages arbitrairement commentés, de quelques phrases dont parfois on force involontairement le sens. Ne prêtons rien à Voltaire; il est assez riche de son propre fonds. Il y a en tout cas une remarque dont on ne peut se défendre en lisant les notes que les éditeurs ont placées au bas des pages de l’Essai. Ces notes ont pour objet de signaler les principales erreurs qui tiennent à la physique et à la chimie du temps et d’indiquer comment les idées de l’auteur doivent être rectifiées en raison des progrès de la science. L’édition de Kehl porte ainsi des commentaires de Condorcet; ils sont exacts et judicieux pour la plupart; dans plusieurs cas cependant, les corrections faites