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roi Crésus, la richesse du monde. A gauche, des héros viennent de même contempler un squelette couronné qui a pour inscription : Ci git Alexandre le Grand, la bravoure du monde. Plus haut, des mages d’Orient, un grand-prêtre juif, la reine de Saba, regardent le squelette de Salomon, la sagesse du monde (épitaphe d’une orthodoxie suspecte, disons-le en passant), tandis qu’à l’autre bout du cimetière des soldats découvrent celui de Samson, qui étranglait les lions et qui personnifie ici la vigueur du monde. La scène la plus tragique est au milieu. En avant d’un grand baldaquin dont des squelettes tirent les rideaux noirs, de jeunes seigneurs et de belles dames richement parées s’avancent d’un œil curieux pour visiter l’intérieur d’un tombeau sur lequel est écrit : Ci gît Hélène, la beauté du monde. Eh quoi! c’est là tout ce qu’il en reste? Un affreux squelette tombant en pourriture! Un des jeunes gens soulève d’une main profane le voile qui recouvre ces os que deux mondes se disputèrent dix ans aux jours de leur beauté fugitive... Les femmes, partagées entre la terreur et la curiosité, allongent le cou pour regarder; mais, ô misère! elles doivent se boucher le nez. Autant en ont dû faire les héros rassemblés devant ce qui fut Alexandre le Grand, et la reine de Saba devant les restes du roi dont elle vint, du fond de son lointain pays, admirer la sagesse et l’éblouissante splendeur. Avec quelle autorité, sortant d’une nuée qui plane au-dessus de ces scènes lugubres, une main mystérieuse, supérieure au temps qui s’envole et à la renommée qui fait résonner ses trompettes, déroule un écriteau sur lequel on lit : Sic transit gloria mundi! Comprend-on la richesse du thème qui s’offre au pieux moraliste et avec quelle gravité il va nous dérouler successivement ses bedenckingen, ses réflexions, sur le tombeau de Salomon, sur le tombeau d’Alexandre et surtout sur le tombeau d’Hélène!

Toutefois il est rare que Cats s’avance aussi loin sur le domaine du tragique et du lugubre. A la condition d’opposer la prudence à ces enivremens de la jeunesse, de la gloire ou de la richesse, il aime la vie, il l’aime puissante, aisée, laborieuse, féconde. Ses Emblèmes de sagesse et d’amour, ses nombreux traités sur le mariage, nous le représentent bien tel que sa biographie nous donnait lieu de nous le figurer, l’idéal du bourgeois avisé, fier, économe, honnête, bon travailleur, aimant passionnément son intérieur luisant et commode, heureux époux et heureux père, en un mot l’idéal du notable hollandais, membre pur-sang de cette bourgeoisie qui, avant les Anglais, connut le comfort et sut le pousser jusqu’au raffinement sans sortir de la simplicité dans la nourriture et l’ameublement. C’est de son temps que se répandit la passion des tulipes et