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dans son Histoire de l’état de la religion : « En ce pays, le commun du peuple estime qu’il n’y a pas de gens plus méchans et plus criminels que les hérétiques, et ordinairement, tandis qu’ils sont en proie aux flammes du bûcher, le peuple autour d’eux s’agite avec frénésie et les maudit même au milieu des tourmens. »

Berquin avait auprès du roi des amis qui, moins zélés pour les intérêts de la religion, étaient moins cruels. Ayant appris avec le plus grand déplaisir les poursuites exercées contre lui pour quelques libres propos, ou, comme dit Erasme, pour quelques vétilles, ils eurent hâte d’intervenir quand ils virent sa cause perdue. Il était temps. Déjà le roi s’était éloigné de Paris, allant guerroyer au-delà des monts, et le roi seul pouvait encore sauver la victime promise au bûcher. On l’entoura donc, on le supplia, chemin faisant, d’arrêter le cours de ce procès, dont l’issue ne pouvait être douteuse. François Ier n’en était pas à traiter les hérétiques de son royaume comme des factieux. Assez indifférent en matière de religion, il ne blâmait pas encore chez autrui cette indifférence, surtout chez les gens d’esprit ; il lui plaisait même de les entendre railler les sots, c’est-à-dire les docteurs gourmés de l’antique Sorbonne. Un évêque, l’évêque de Rayonne, Jean Du Bellay, lui procurait quelquefois cet agréable passe-temps. Il se laissa donc facilement toucher par les discours qu’on lui fit sur Berquin, un gentilhomme si distingué, si savant, si sincère, si peu suspect de turbulence, et le 5 août, étant sur le point d’entrer dans la ville de Melun, il envoya promptement à Paris le capitaine Frédéric, des archers de sa garde, avec une lettre au parlement et un ordre verbal dont l’exécution ne devait pas être différée.

Le capitaine Frédéric arrivait au parlement le samedi 8 août. La chambre du conseil venait de « rendre » à l’évêque de Paris, « présent et acceptant, » le prisonnier, encore détenu dans la tour carrée de la Conciergerie, quand la lettre du roi lui fut remise. Le roi, disait cette lettre, évoquait l’affaire de Berquin pour la juger lui-même en son grand-conseil, et celui-ci devait en conséquence être rendu non pas à l’évêque, mais au roi. La chambre étonnée fit des remontrances. Berquin n’était plus son prisonnier ; il y avait arrêt. Il fallait s’adresser à l’évêque. La chambre d’ailleurs se proposait d’écrire au roi pour justifier toute sa procédure, et le capitaine Frédéric ne pouvait-il pas, les choses restant ce qu’elles étaient, retourner vers le roi, lui porter la lettre du parlement et attendre une réponse ? L’ordre donné verbalement au capitaine était de recevoir Louis de Berquin ou de l’enlever de vive force, les remontrances de la cour ayant été prévues. C’est pourquoi, malgré son arrêt, la chambre du conseil remit au roi le prisonnier de l’évêque,