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recueillera des témoignages pour les transmettre aux délégués du pape, et, sur leurs indications, assignera les personnes qu’ils voudront entendre.

Cependant on s’agite au sujet de Berquin ailleurs encore qu’au Palais et à la Sorbonne. Ainsi que l’avaient bien prévu les ennemis de ce libre docteur, la nouvelle de son arrestation anime contre eux le plus intime conseil de la régente. Puisque le roi lui-même a pris Berquin sous sa tutelle, on ne peut le poursuivre sans avoir l’intention d’outrager le roi : tel est l’avis exprimé par ces fidèles serviteurs de la couronne, pour qui tous les devoirs consistent dans l’obéissance. Il y a de plus autour de la régente quelques partisans éclairés de la tolérance religieuse qui se sont déjà prononcés contre Bédier, contre la faction bédiste, et qui cette fois, puisqu’il s’agit encore de l’honnête Berquin, reproduisent avec plus de vivacité leur plainte habituelle. De toutes les voix qui défendent sa cause, la plus émue et la plus touchante est celle de Marguerite d’Angoulême, la sœur du roi, la belle Marguerite, l’amie dévouée de tous les beaux esprits. Marguerite n’a peut-être jamais vu Louis de Berquin, mais elle s’est passionnée de loin pour ce gentilhomme lettré qui s’est révolté contre la tyrannie des pédans, et dont les pédans veulent la mort. Elle intercède pour lui auprès de tout le monde. Elle écrit même au roi, toujours prisonnier, et le sollicite avec une telle ardeur qu’il s’empresse d’envoyer à la régente un ordre pour le parlement. Il prescrit qu’on suspende jusqu’à son retour le procès de Berquin, comme ceux de Lefebvre, de Roussel et de tous les autres docteurs suspects d’hérésie.

Nous avons la réponse de Marguerite à la lettre de son frère. « Monseigneur, lui dit-elle, le désir que j’avais d’obéir à votre commandement était assez grand, sans l’avoir redoublé par la charité qu’il vous a plu faire au pauvre Berquin, selon votre promesse : dont je suis sûre que celui pour qui je crois qu’il a souffert aura agréable la miséricorde que, pour son honneur, vous avez faite à son serviteur et au vôtre[1]. » Ainsi la cause de Berquin est pour Marguerite la cause de Dieu. Par qui la religion du Christ est-elle corrompue? C’est par l’église orthodoxe. Telle est sa croyance, et elle la déclare. Bédier a donc eu raison de la dénoncer un jour elle-même comme hérétique.

La régente transmet aux délégués du pape l’ordre du roi. L’ayant reçu, les délégués se présentent, le 20 février, à l’audience de la cour et demandent un conseil. Le parlement les a chargés de poursuivre; au nom du roi, la régente leur commande de suspendre toute

  1. Lettres de Marguerite, publiées par M. Génin, t. II, p. 77.