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de Meaux, ville du plus mauvais renom. Bientôt après on refît le procès de Berquin à la requête de Nicolas d’Anthuile, promoteur de la foi. Le roi n’arrêta pas cette nouvelle poursuite; il crut témoigner à Berquin assez d’intérêt en désignant lui-même la moitié de ses juges. La commission chargée de renouveler l’enquête et de prononcer l’arrêt fut par exception composée de douze personnes; on voulut des assises tout à fait solennelles. Dix de ces douze juges nous sont connus : Jean de Selve, premier président au parlement de Paris, Denis Poillot, président, Etienne Léger, vicaire-général de l’évêque de Paris, Guillaume Budé, maître des requêtes, Jean Prévost, Guillaume Bourgeois, Louis Roillart, René Gentil, Pierre Bruslard, conseillers, et Etienne Tornebulle, avocat[1]. L’Université se fit représenter dans la cause par Noël Bédier, jaloux de se justifier lui-même.

Pendant quelques jours, Berquin se rendit sans gardes de son logis au palais. On le traitait avec honneur. Cependant on ne tarda pas beaucoup à l’arrêter. Il fut alors conduit à la Conciergerie, dans la cour du préau. Dans cette cour, réservée aux détenus «pour matière civile, » on jouissait de quelque liberté; on y recevait ses amis, ses domestiques. Or il arriva qu’un des valets de Berquin, qu’il avait envoyé porter des lettres et des livres, s’évanouit sur le pont au Change devant une image de la Vierge, et que les lettres, les livres, recueillis par des passans, furent portés à un jacobin qui les transmit sur le champ à Bédier. Les livres étaient chargés d’annotations hérétiques révélées sans aucun doute par un miracle! Ce miracle était bien fait pour émouvoir tout Paris. Berquin, dès lors reconnu coupable, fut transféré dans la tour de la Conciergerie, et son arrêt fut rendu le 15 avril 1529. Le condamné sera d’abord dégradé ; on le dira déchu de ses honneurs, de ses titres ; pour avoir abusé de sa doctrine, il ne sera plus docteur. Cette dégradation accomplie, il sera conduit, la tête nue et une torche de cire ardente à la main, d’abord au parquet civil du parlement, puis dans la grande cour du palais, devant la pierre de marbre, criant merci à Dieu, au roi, à la justice, à toutes les puissances du ciel et de la terre, qu’il a si criminellement outragées en écrivant des livres et des notes où sont énoncées des opinions conformes à celles de Luther. Ensuite on le mènera sur la place de Grève, où ses livres seront brûlés en sa présence, et où il criera de nouveau qu’il abjure ses erreurs. De la place de Grève, le pénitent et son cortège se dirigeront vers l’église Notre-Dame, où recommencera la palinodie. Toutes les cérémonies de cette abjuration étant achevées, le con-

  1. Félibien, Histoire de Paris, t. II, p. 985.