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les pieds que pour donner ses secours aux malades et aux mourans, et encore n’y pourra-t-il séjourner une nuit pleine, « à peine de la vie. »

Malgré ces restrictions, qui du reste ne furent pas suivies à la lettre, les patentes de grâce de I664 ont ouvert une période relativement heureuse et libre qui a duré jusqu’en 1686. Après ce premier pas dans la réconciliation du souverain avec son peuple, il s’en fit bientôt d’autres, suppression des impôts et des lois d’exception, liberté du trafic avec les catholiques sous la seule restriction de ne pas faire de propagande. Par ces mesures réparatrices, les vallées maudites rentrèrent peu à peu dans la communion civile du reste des états de Savoie; les émigrans purent comme autrefois se répandre sur les deux versans et rapporter dans la ruche natale le butin amassé au dehors : aussi la condition matérielle du peuple s’éleva bien au-dessus de celle des populations des vallées catholiques du même versant. C’est pendant cette période de paix que la terre vaudoise se couvrit de ces travaux d’irrigation qu’on admire encore aujourd’hui. Quelques-unes des belles prairies naturelles du bas des vallées remontent à cette époque. Il faut dire aussi que la sympathie étrangère fut pour quelque chose dans ce relèvement matériel. Les amis du dehors, en Angleterre, en Hollande, en Suisse et en Allemagne, avaient fait de larges collectes pour soutenir les vaudois pendant la guerre; le flot continua de couler quand la paix fut venue, et féconda ce petit coin de terre, qui présenta bientôt un aspect de prospérité souverainement irritant pour l’ennemi traditionnel. Un certain monsignor Mosti, nonce du pape à Turin, vit dans cette prospérité hérétique un scandale pour le bon peuple catholique et en parla au duc; mais celui-ci, qui voyait la chose d’un œil différent, lui fit répondre par le comte de Butigliera que, « si on ne consultait que la politique, il faudrait plutôt laisser croître et multiplier les hommes des vallées, car ils sont fidèles, dévoués, laborieux, utiles au pays. » Cette lettre, dont l’original est aux archives de cour à Turin, montre qu’à cette époque la pression de Rome et de son clergé ne suffisait déjà plus pour jeter la maison de Savoie dans la persécution. Sa politique d’agrandissement formait déjà un utile contre-poids aux inspirations de l’intolérance, et elle trouvait dans cette population guerrière des soldats tout formés qui ne demandaient pas mieux que de combattre pour leur souverain au lieu de combattre contre lui. Les vaudois s’étant bravement conduits dans la guerre contre la république de Gênes en 1673, le duc leur en témoigna sa haute satisfaction par une lettre affectueuse, qui fut lue le dimanche dans tous les temples de la montagne. C’était la première fois qu’un prince de Savoie adressait directement