Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 79.djvu/574

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

valait toujours mieux que le commandement absolu d’un seul. Le conseil de conscience, présidé par le cardinal de Noailles, tint tête aux jésuites et à la cour de Rome avec une énergie qui les fit reculer. Le conseil des finances, inspiré par l’habileté supérieure de deux simples banquiers, les frères Paris, porta vigoureusement la main sur le chaos financier laissé par Louis XIV, révisa la dette publique, fit rendre gorge aux traitans par des mesures trop violentes sans doute, mais qu’autorisait la rudesse du temps, et résista tant qu’il put aux extravagances du système de Law. On a dit de ces conseils qu’ils étaient devenus bien vite une pétaudière ; une pareille critique peut s’adresser à tous les corps délibérans.

Ce qui permet de les mieux juger, c’est l’influence qui les renversa. A partir du moment où ils cessèrent d’exister, toutes les idées de réforme politique que le régent avait apportées à son avènement furent abandonnés. Il ne resta plus que le pouvoir absolu tel que l’avait exercé Louis XIV, et ce pouvoir tomba aux mains de deux hommes qu’il suffit de nommer, Dubois et Law, en attendant Mme de Pompadour et Mme Du Barry. L’autorité des conseils était déjà fort ébranlée quand parut le Discours sur la Polysynodie. L’abbé de Saint-Pierre en adoptait le principe en leur donnant un nom tiré du grec, polysynodie, pluralité des conseils. Il attaquait avec force l’autorité arbitraire des ministres, qu’il appelait des vizirs, et il partageait malheureusement la répugnance que beaucoup d’esprits éminens montraient pour la réunion des états-généraux. « Quelle nouvelle lumière, disait-il, peut-on attendre dans la politique d’une multitude de gens qui pour la plupart n’en ont étudié aucune partie, et parmi lesquels, comme parmi le peuple, dominent ceux qui ont le plus d’éloquence naturelle sans aucune solidité ? Les partis s’y prennent suivant l’avis du plus grand nombre, qui dans les assemblées populaires se compose des plus ignorans. » Telles sont les objections qu’on a faites de tout temps aux gouvernemens libres. Assurément c’était une erreur, mais ce n’était pas une utopie, car cette opinion ne l’a que trop emporté. L’utopie consistait à croire quelle despotisme fût conciliable avec un bon gouvernement. L’abbé de Saint-Pierre n’est pas le seul qui l’ait professée, on la retrouve plus tard chez tous les économistes de l’école de Quesnay, sans en excepter Turgot. Voltaire était du même avis ; on connaît ces vers de la Henriade sur les états de Blois :

De mille députés l’éloquence stérile
Y fit de nos abus un détail inutile,
Car de tant de conseils l’effet le plus commun
Est de voir tous nos maux sans en soulager un.

Le plan de l’abbé ne différait essentiellement de celui du régent