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« Palais-Royal, 6 mai 1718.

« Je vous supplie, monsieur, de marquer de ma part à la compagnie que je ressens fort la perte que je fais d’être privé désormais de l’honneur et du plaisir d’assister aux assemblées. Vous savez, monsieur, par les démarches que j’ai faites, combien je désirais d’éviter cette perte ; mais je vous supplie de témoigner en même temps à mes anciens confrères que je ressens encore plus la peine que mon imprudence leur a fait souffrir.

« Je vous supplie encore, monsieur, de les prier de ma part de me pardonner le déplaisir que je leur ai causé, et que je leur ai pardonné le grand tort qu’ils m’ont fait, et que, si j’étais jamais en pouvoir de rendre service à ceux même qui ont paru le plus animés et qui ont le plus penché à la sévérité, j’en saisirais les occasions avec joie. Je n’ai point de meilleure preuve de la sincérité de mes sentimens que la confiance avec laquelle je m’adresserais à eux, si j’avais besoin de leur secours. La raison et la religion m’inspirent ces sentimens, et je crois que vous me connaissez assez pour en pouvoir répondre. J’ai prié mes amis de parler dans le même sens aux autres personnes que l’on m’a dit que j’ai offensées. Je m’en vais à la campagne de peur que l’on ne me fasse parler contre mes véritables sentimens. J’ai besoin de calme et de repos. »


Il faut lire dans Saint-Simon le vivant récit qu’il fait de cette affaire, en l’appelant « une fort plate chose qui fit alors un furieux bruit. » Si Saint-Simon n’aimait pas l’abbé de Saint-Pierre, « grand faiseur de livres, de projets et de réformations pour le gouvernement, » il aimait encore moins les ministres du feu roi. « Personne, dit-il, ne se scandalisait d’un ouvrage qui pouvait manquer de prudence, mais qui n’exposait que des vérités dont tout ce qui vivait avait été témoin. » Ce fut le maréchal de Villeroy qui « se signala avec un vacarme épouvantable, et ameuta de gré et de force toute la vieille cour. » Le régent ne voulut pas tenir tête à ce tumulte, et c’est ainsi que l’abbé de Saint-Pierre fut chassé de l’Académie « malgré l’Académie, qui n’osa pas résister jusqu’au bout. » L’Académie obtint seulement que l’abbé ne serait pas remplacé de son vivant, ce qui fut exécuté « malgré les cris de ses persécuteurs. »

On peut croire que toute cette colère n’était pas seulement dirigée contre l'inoffensif auteur de la Polysynodie ; elle avait encore pour but de ruiner l’institution des conseils, qui rencontrait une opposition croissante soit dans la cour, soit dans le parlement, soit même dans le public, peu habitué à cette division des pouvoirs. L’exclusion académique de l’abbé de Saint-Pierre est du commencement de mai 1718 ; les conseils furent supprimés le 24 septembre suivant. La chute en fut décidée par une lettre que Dubois écrivit