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Ces plans, si chimériques qu’ils fussent dans les détails, pouvaient être facilement améliorés. Le temps en a conservé une partie : c’est la division du conseil d’état en comités spéciaux répondant à chaque ministère, et sous le premier comme sous le second empire, quand on a voulu établir en France une monarchie administrative, le principe de la Polysynodie a retrouvé faveur, parce qu’il concilie, en apparence du moins, la délibération avec l’action. Rien ne prouve que la méthode du scrutin perfectionné ne doive pas aussi renaître quelque jour ; on a déjà essayé plusieurs fois de faire élire dans chaque corps les supérieurs par les inférieurs, et ce mode de nomination n’a peut-être pas dit son dernier mot. Quant à l’académie politique, elle existe aujourd’hui sous le nom d’Académie des Sciences morales et politiques, pas exactement telle que la voulait l’abbé, mais telle qu’elle peut être, et la première idée de cette institution remonte certainement au Projet pour perfectionner le gouvernement des états.


III

Parmi les autres projets de l’abbé de Saint-Pierre, le plus important est son mémoire pour l’établissement d’une taille tarifée. On sait par les écrits de Vauban et de Boisguilbert quels avaient été sous Louis XIV les funestes effets de la taille arbitraire. La source principale de la ruine des taillables était l’inégale répartition entre généralité et généralité, entre élection et élection, entre paroisse et paroisse, et surtout entre famille et famille. Il ne pouvait être question à cette époque de supprimer le privilège de la noblesse et du clergé en matière de taille ; mais ce privilège n’était que le moindre des abus qui rendaient l’impôt si destructeur, et tout le travail des bons administrateurs a consisté avant 1789 à corriger l’inégalité entre les taillables d’après les principes posés par l’auteur de la taille tarifée. Dès que son projet eut été rendu public, plusieurs intendans en firent l’essai. L’abbé de Saint-Pierre a cité lui-même, à la suite d’une seconde édition de son mémoire, M. Chauvelin, intendant de Picardie, qui, sur 1,400 paroisses dont se composait sa généralité, en tarifa tout d’un coup plus de 600, et les intendans des généralités de Caen, d’Alençon, de Soissons et de Paris, qui avaient fait la même opération en 1736 et 1737. Cet exemple fut suivi ; on voit par les procès-verbaux des assemblées provinciales de 1788 que la taille tarifée avait été successivement mise en pratique dans la plus grande partie du royaume.

Un autre projet qui ne peut être classé parmi les chimères avait pour but de rendre les chemins plus praticables en hiver. « Lorsque je propose, disait l’abbé de Saint-Pierre, d’augmenter le