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Une seule chaire de physique avait été fondée au Collège de France ; le professeur ne faisait pas d’expériences, et enseignait en latin. L’infatigable abbé voulut que l’on comblât cette lacune ; il demanda qu’il y eût à la Bibliothèque du roi une salle destinée à tenir quatre conférences de physique par semaine avec « une table au milieu pour y faire des expériences et des démonstrations ; les plus proches des sièges autour de la table seront destinés aux étrangers et aux personnes de considération ; les autres sièges seront plus élevés, en sorte que ceux qui y seront placés puissent voir facilement sur la table ; il y aura un poêle en hiver. » Voilà bien nos cours modernes avec leurs salles en amphithéâtre, et la prévoyance de l’abbé de Saint-Pierre allait jusqu’à ne pas oublier de les chauffer. Lui-même cultivait les sciences naturelles ; il y voyait un moyen d’élever les âmes et de fortifier les idées religieuses. Dans son Projet pour perfectionner la médecine, il proposait la création d’une académie spéciale de médecine « en divisant les maladies entre les académiciens. » Il conseillait que « les malades d’un grand hôpital fussent distribués dans les salles par genres de maladies. » Il voulait que les prêtres de campagne eussent quelques connaissances médicales « pour soulager les corps aussi bien que les âmes. » Il demandait enfin que dans chaque hôpital il y eût un lieu destiné aux dissections ; « c’est ainsi, disait-il, que l’on ferait servir les morts à faire durer les vivans, c’est ainsi que l’on tirerait des cadavres inutiles une grande utilité. »

Une longue étude serait nécessaire pour rendre compte de ses œuvres historiques. Il avait refait à sa manière les Vies des hommes illustres de Plutarque ; il y exprimait sur les principaux personnages de l’antiquité des jugemens quelquefois justes, quelquefois absurdes, mais toujours originaux et hardis. Le plus curieux en ce genre est son livre intitulé Observations politiques sur le gouvernement des rois de France. Il y passe en revue toute notre histoire nationale depuis les Gaulois jusqu’à Louis XIV. Il y, manque complètement de ce qu’on appelle aujourd’hui la couleur locale et le sens historique ; mais la plupart de ses observations critiques, si étranges qu’elles paraissent dans la forme, sont justes au fond. Il parle avec la plus grande sévérité de la fureur des croisades, et ne ménage pas les termes contre le fanatisme et les fanatiques du moyen âge ; il qualifie les guerres de religion de « maladie d’état, d’autant plus difficile à prévenir et à guérir que c’est une maladie populaire fondée sur l’ignorance, et par conséquent sur la superstition. » Les rois les plus puissans et les plus célèbres ne trouvent pas grâce devant lui quand ils ont manqué aux lois de la morale et de la justice. C’est l’histoire philosophique qui commence ; Voltaire lui-même n’ira pas toujours aussi loin.