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avec l’espoir secret qu’il ne serait pas obligé de déployer la force armée; mais Louis veillait à ce que tout s’accomplît à la lettre, et le corps d’armée du Dauphiné se tenait prêt à tout événement.

Jamais la situation du peuple martyr n’avait été aussi critique. Dans les guerres antérieures, les hautes retraites des montagnes avaient été son refuge, et le salut était venu par les cols supérieurs; mais cette fois ils vont être occupés par l’ennemi, et quel ennemi! Catinat, le général habile, l’émule de Lesdiguières dans les guerres de montagnes, le héros de vingt batailles. Pris par le haut des vallées et par le bas, comment échapper à la ruine? Aussitôt que l’édit fut connu, les chefs militaires du peuple et ses conducteurs spirituels se réunirent à Angrogna pour délibérer et prier. On lut dans l’assemblée une lettre de Janavel contenant ses instructions sur la conduite à tenir dans cette crise suprême. On sait que le héros des deux guerres des bandits avait été excepté des patentes de grâces de I664. Il vivait depuis lors à Genève, proscrit, mais regardant toujours du côté de ses chères vallées et préoccupé des dangers qui menaçaient ses frères. Dans cette lettre, qui fut saisie par l’ennemi, et qui est aujourd’hui dans les archives de Turin, il donne à ses compatriotes les conseils que lui dicte son expérience. Il veut d’abord qu’on adresse au souverain des requêtes bien humbles pour le prier de ne pas loger de troupes dans les vallées. « Les syndics des communes, dit-il, devront représenter à son altesse royale que le peuple en prendrait ombrage; ils devront offrir de payer le logement en argent. Au nom de Dieu, n’acceptez aucun logement sous quelque prétexte que ce soit, autrement c’est votre perte assurée. » Il rappelle que les Pâques piémontaises ont commencé par un logement militaire. « Souvenez-vous, s’écrie-t-il, des massacres de 1655... » La discipline, la formation des compagnies, l’ordre de combat, les positions qu’il faut fortifier, il a sur toutes ces questions des vues arrêtées qu’il communique. « Vos compagnies ne doivent être que de 18 à 20 hommes. Vous aurez un conseil secret composé de 1 homme de chaque vallée, ainsi que de 1 ou de 2 pasteurs qui aient du cœur, et vous aurez 1 commandant-général par-dessus tous les peuples des vallées. Toutes ces nominations se feront à voix du peuple et avec bon ordre. Si Dieu vous donne du temps, vous aurez soin d’acheter du blé et de le retirer par les montagnes, afin qu’il serve à secourir les plus misérables et entretenir les compagnies. » Ce qu’il faut surtout, c’est l’union entre toutes les vallées, et, pour arriver à cette union si nécessaire, il invite les pasteurs à réunir tout le peuple, grands et petits, et, « après les avoir exhortés selon la parole de Dieu, ils les feront jurer, la main levée vers le ciel, fidélité à l’église et à la