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se retrouve mêlé aux commentaires dont cette étrange affaire est devenue le sujet ? Commentaires discrets, comme on peut croire, la Quarantie n’en souffrant pas d’autres.

Il paraît à peu près certain que, si l’accusé ne répond pas plus clairement aux questions pressantes dont on l’accable, les magistrats se décideront à ordonner qu’il soit mis à la torture. Les préparatifs d’usage sont déjà commandés. Certains indices de trouble, d’anxiété même, font penser que l’accusé faiblira devant l’effroyable appareil du supplice.

Le 2 avril à quatorze heures, le tribunal s’est réuni de nouveau. Peu de personnes étaient admises, entre lesquelles le noble Contarini, qui parait prendre le plus grand intérêt à cette affaire. En entrant dans la salle, et avant que la séance fût commencée, l’accusé s’est aussitôt tourné vers ce haut personnage, et, le saluant avec gravité : — Monseigneur, lui a-t-il dit, votre excellence, voulant me servir, m’a perdu. La générosité de l’intention mérite cependant ma reconnaissance. Malheureusement je ne puis vous la témoigner qu’en implorant de vous un nouveau bienfait, qui est de transmettre au conseil des dix la déclaration que vous allez ouïr. Ziobà n’est pas mon nom. Je ne suis pas non plus un enfant perdu et sans famille. Mon séjour parmi les bohèmes est de pure invention. Je m’appelle en réalité Pasquale Gambara, et je suis le fils unique du seigneur de ce nom, bien connu à Brescia, d’où il s’est vu chassé en 1512, lorsque, le 19 février, cette ville fut emportée d’assaut et pillée par les troupes du duc de Nemours[1]. La sérénissime république, qui avait d’abord secrètement donné asile à ce zélé serviteur de la ligue, l’exila au lendemain de Malegnano, quand la fortune sembla tourner ses faveurs du côté de la France, et confisqua tous ses domaines ; ils furent donnés à un neveu de Théodore Trivulzio, qui venait de prendre le commandement des forces vénitiennes mises au service du roi François Ier. Avant de subir la torture, que l’honorable tribunal paraît disposé à m’infliger, je propose humblement au conseil des dix qu’il soit rendu compte aux pregadi de la situation qui m’est faite, vu l’importance politique de ma famille et la portée des révélations que je suis à même de procurer. J’espère, si ma requête parvient à leurs excellences, que je serai compris à demi-mot. Du reste je promets de ne rien celer de ce qui touche à l’assassinat d’Antonio Toldo.

Ayant pris à part le président des quarante, monseigneur Contarini s’est mis à conférer tout bas avec lui, et de commun accord l’affaire s’est trouvée ajournée à un autre temps.

  1. Gaston de Foix.