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lique qui le cacha dans sa maison, courut à la recherche de sa femme et de sa fille, égarées aussi dans les montagnes, et parvint à les lui ramener ; saisi ensuite, jeté dans les prisons du Piémont, il raconta ses malheurs et ceux de son peuple sans passion, presque sans réflexion. Son écrit, encore inédit, intitulé : Memorie di me Bartholomeo Salvajot, jette une vive lumière sur la captivité et la dispersion du peuple vaudois. « Les Français, dit-il, tuaient dans la vallée de Saint-Martin tous ceux qu’ils rencontraient ; gli amazzavano, gli impiccavano agli alteri, e da tutte le parti non si sentira altro che grida, che facera orrore. »

Pour qu’une armée française soit descendue à de pareils excès, il a fallu qu’elle fût profondément démoralisée par la mission misérable que le despote magnifique de la France lui faisait accomplir depuis une dizaine d’années. L’honneur militaire lui-même s’y pervertit, et les généraux les plus purs s’y souillèrent d’actions qui soulèveraient aujourd’hui la réprobation du monde civilisé. Catinat, le commandant de cette odieuse expédition, fit dire aux vaudois réunis au nombre de 1,500 sur une montagne que leurs frères des autres vallées avaient fait leur soumission au duc de Savoie, ce qui n’était pas vrai au moment où il faisait porter ce message par un parlementaire. Cette nouvelle abattit les courages les plus fermes, et ils envoyèrent au général un parlementaire pour traiter de la capitulation. Catinat promit qu’il ne serait porté atteinte ni à leur vie ni à leurs biens, et comme le vaudois exprimait encore quelque doute, le général répondit vivement que « toute son armée traverserait les villages sans y toucher une poule. » Malgré cette promesse, les vaudois descendus de la montagne furent entourés par les soldats, les hommes en état de porter les armes furent séparés de leurs femmes et de leurs enfans et envoyés prisonniers au duc de Savoie. Un écrit publié à Rotterdam en 1689[1] raconte ce qui advint des femmes et des filles dès qu’elles furent séparées de leurs défenseurs naturels. Une soldatesque effrénée se jeta sur elles dans le village de Poemian. Plusieurs de ces filles de la réformation, préférant la mort à la honte, luttèrent des mains et des ongles. L’une d’elles ne fut violée qu’après avoir été clouée au sol par une épée qui lui traversa la poitrine, d’autres tombèrent sous les balles du ravisseur en fuyant dans les bois. Celles qui survécurent à cette scène de sauvages furent rassemblées avec les enfans et les vieillards, et allèrent rejoindre leurs maris et leurs frères dans les prisons. Salvajot, notre chroniqueur, déjà prisonnier au couvent des

  1. Histoire de la persécution des vallées de Piémont, contenant ce qui s’est passé dans la dissipation des églises et des habitans en l’an 1686.