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pouvaient donc pas motiver la répression exercée dans la rue et contre la foule ; mais on en était arrivé à l’un de ces momens comme il en survient presque toujours tôt ou tard dans les émotions populaires, à un de ces momens où l’autorité, excédée de fatigue, tourmentée d’inquiétudes, tiraillée par des renseignemens et des conseils contradictoires, finît par n’y plus voir clair et par se jeter tête baissée dans quelque excès, dans un excès de faiblesse ou dans l’excès opposé. Cette fois ce ne fut pas du côté de la faiblesse que l’on versa.

Le directeur de l’intérieur, en butte depuis plusieurs jours aux cris et aux buées, préoccupé d’ailleurs plus encore que le gouverneur d’une situation dont la responsabilité première retombait en grande partie sur lui, avait dû insister, pendant le cours de ces événemens, en faveur d’une répression énergique. Jusqu’alors le gouverneur lui avait résisté. Ancien républicain, resté peu sympathique au clergé et au parti ultramontain, le contre-amiral Dupré, ainsi que nous l’avons vu, avait été laissé presque complètement en dehors des attaques qui atteignaient les autres chefs de l’administration coloniale et notamment le directeur de l’intérieur. Il craignit peut-être que sa modération envers les auteurs des manifestations ne fût taxée de partialité. La seconde lettre de M. de Villèle lui laissait pressentir que telle serait en effet l’interprétation qu’on donnerait à sa conduite. On lui affirmait d’autre part que la situation devenait menaçante. Il en crut le directeur de l’intérieur, il en crut le chef de la police, il en crut le lieutenant-colonel Massaroli, et il leur donna carte blanche.

On sait le reste. Les sommations furent faites par le malheureux maire de Saint-Denis. Les armes ne furent pas chargées en présence de la foule, celle-ci ne pouvait pas croire qu’on allait tirer. Elle se dispersa néanmoins devant les troupes, qui s’étaient mises en marche, se déployant successivement dans les différentes rues qui avoisinent l’hôtel de ville. Tout à coup la troupe commence à tirer ; des morts et des blessés tombent dans la rue de Paris et dans plusieurs rues voisines. Cette fusillade avait-elle été provoquée par un ou deux coups de feu partis de jardins voisins du théâtre des événemens ? C’est un point qui sera sans doute mis plus complètement en lumière par une enquête ou par un procès. En tout cas, ce ne sont pas les auteurs de ces deux coups de feu qui les ont payés. On n’a pas même occupé les deux jardins dont il s’agit. On a tiré sur la foule qui se trouvait dans les rues, et qui n’avait d’autres armes que des pierres. Les carabines à longue portée des soldats de l’infanterie de marine, au milieu de ces rues se coupant à angle droit, allaient faire des victimes à une distance considérable du théâtre principal des événemens.