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Elle comptait trop sur cet ascendant naturel d’une reine, d’une femme ayant à traiter avec toutes les ambitions. Elle s’était trop accoutumée à jouer avec les choses et avec les hommes, sachant plier quand elle ne pouvait l’éviter, et se montrant tout aussi prompte à oublier les services qu’on lui rendait sans se demander si elle ne laissait pas une dangereuse amertume chez ceux qu’elle brisait ou qu’elle livrait aux représailles des partis. Deux fois, en 1856 et en 1866, après deux batailles sanglantes et décisives, elle renvoyait lestement O’Donnell du ministère, et en 1866 notamment elle laissait à peine quelques jours entre le formidable combat du 22 juin à Madrid et le congé presque brutal qu’elle donnait à un chef avec lequel il fallait compter. Serrano lui-même, le chef du gouvernement provisoire actuel, Serrano président du sénat, capitaine-général de l’armée, combattant, lui aussi, du 22 juin, était traité peu après comme un conspirateur vulgaire, et l’an dernier on l’expédiait encore aux Canaries. Je ne parle ni d’Espartero, tour à tour évincé ou invoqué dans les momens de crise, ni de ces scènes de 1843 qui ont fait de M. Olozaga un irréconciliable ennemi des Bourbons. La reine Isabelle tient de son père Ferdinand VII une certaine humeur moqueuse à laquelle n’ont pas échappé ses amis les plus fidèles, et, si elle était peu ménagère des faveurs royales, elle n’était pas moins prodigue de piqûres, même de blessures dont elle ne calculait pas toujours la portée. On prétend, que le général Dulce, associé depuis 1854 à la fortune d’O’Donnell, mais peu aimé d’Isabelle, revenait un jour, il y a deux ans, de Cuba, où il avait été envoyé comme capitaine-général, et où il s’était marié avec une riche créole. Il rentrait à Madrid dégoûté de la politique et des conspirations, n’aspirant qu’à vivre tranquille. Il voulut présenter sa femme au palais, à un baisemain. Lorsque la nouvelle venue passa devant la reine, celle-ci retira sa main d’une façon presque injurieuse. Le général Dulce quitta le palais naturellement blessé et irrité. Il a depuis disposé, dit-on, d’une partie de sa fortune pour mener à bout la dernière révolution. La vérité est que la reine Isabelle a payé cher plus d’une de ces piqûres qui lui ont fait souvent des ennemis et qui ont quelquefois refroidi ses amis.

Qu’on réunisse toutes ces causes politiques, intimes, personnelles, sérieuses ou frivoles, agissant à la fois dans un règne livré à toutes les influences ; on comprendra comment la monarchie espagnole se trouvait ébranlée, et déjà plus qu’à demi compromise en 1868, au moment où elle allait être frappée d’un nouveau coup par la mort du général Narvaez, qui la couvrait encore de son épée comme chef militaire et comme président du conseil. Jusque-là, en 1867,