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hommes assez obscurs de l’ordre civil : c’était tantôt M. Martin Belda, tantôt M. Severo Catalina, puis encore M. Belda. Toutes les susceptibilités de la marine se révoltaient. De là un mécontentement dont un des officiers les plus populaires, le brigadier Mendez Nuñez, qui servait dans l’Océan-Pacifique, avait donné le signal par une correspondance assez aigre avec le cabinet de Madrid, et ce mécontentement s’était rapidement propagé en se compliquant des excitations nouvelles de la politique. Il n’y avait pas de chefs supérieurs de la marine engagés dans cette dangereuse opposition ; mais dans une partie de la flotte, notamment devant Cadix, il y avait des brigadiers, des capitaines de vaisseau, qui ne demandaient pas mieux que de laisser éclater leur ressentiment, et qu’on disait déjà en relations avec leur voisin de Séville, le duc de Montpensier. C’était une force jusqu’à un certain point indépendante, capable d’agir par elle-même et disposée aussi à se rallier à tout ce que feraient les hommes de l’union libérale, occupés en ce moment de leur négociation avec les meneurs de la conspiration progressiste.

Malgré tout, l’alliance qui se tramait mystérieusement et qui, si elle venait à se réaliser, allait évidemment disposer de ressources considérables, cette alliance n’était pas une œuvre des plus faciles. Entre les progressistes, ayant derrière eux les démocrates, et les généraux de l’union libérale, il y avait d’abord les souvenirs d’une série de luttes sanglantes dont la dernière datait à peine du 22 juin 1866. Ce n’était rien encore ; ces souvenirs s’effacent vite en Espagne. La négociation rencontrait une difficulté plus sérieuse qui tenait au fond même des choses. Les chefs unionistes ne reculaient plus désormais devant l’insurrection, ils étaient prêts à s’engager de leur personne dans le mouvement, et ils considéraient la déchéance de la reine comme la première, l’inévitable conséquence de la levée de boucliers qui se préparait : sur ce point, leur parti était pris ; mais en même temps ils n’entendaient certes pas détruire la monarchie en Espagne, et avant tout ils voulaient qu’on se mît d’accord sur le programme de la révolution, sur ce qu’on ferait le jour où le gouvernement de la reine serait abattu. Or ici les progressistes étaient assez embarrassés ; ils se trouvaient placés entre les unionistes, dont ils partageaient l’opinion au moins sur la nécessité de maintenir la monarchie, et les démocrates, qui refusaient d’entrer dans un mouvement dont le but avoué et ostensible serait le remplacement d’un roi par un roi, d’une dynastie par une dynastie. Au fond, les progressistes comptaient sur la puissance des choses, sur la force des instincts et des traditions monarchiques de l’Espagne sans qu’il y eût rien à décider pour le moment. Ils