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suit, se précipite et culbute l’ennemi, étourdi de cette charge impétueuse. « Les sabres des vaudois, dit la relation, mettaient en pièces les épées des Français, et faisaient jaillir des étincelles en frappant sur les fusils, dont l’ennemi ne se servait plus que pour parer les coups. » Les vaudois avaient pris pour mot d’ordre le nom d’une de leurs vallées : Angrogne, et ils le répétaient pour se reconnaître dans la mêlée sanglante qui suivit le passage du pont. Ce mot mal prononcé par les Français coûta la vie à plus de 200 d’entre eux. On tuait impitoyablement ceux qui criaient grogne au lieu d’Angrogne.

La victoire de Salbertrand rouvrit la patrie aux exilés, et le lendemain, arrivés sur les hauteurs qui dominent Fénestrelles, ils purent saluer de loin leurs montagnes natales. Le commandant Turrel, dit la relation, « les exhorta à remercier Dieu de ce que, après avoir surmonté si miraculeusement tant de difficultés, il leur faisait enfin apercevoir un point de l’endroit où tendaient tous leurs vœux. » À cette vue, leurs cœurs sont remplis de joie, plusieurs ont les larmes aux yeux, et le sentiment profond que tous éprouvent déborde dans une prière de reconnaissance prononcée par le général, « prière, ajoute la relation, qui les anima d’une nouvelle ardeur. » Ils en avaient besoin pour les nouveaux combats qui leur restaient à livrer avant de reconquérir l’héritage des ancêtres. Pendant sept mois, cette bande héroïque tint les montagnes devant les Français et les Piémontais. La première opération fut de débarrasser la terre natale des colons catholiques qui l’occupaient. Devant ces infidèles, comme les appelle la relation, les vaudois sont saisis de l’esprit des anciens Hébreux : ils tuent, ils détruisent, ils exterminent, ils observent à la lettre les instructions de Janavel. L’auteur de la Glorieuse rentrée raconte impassiblement ces exécutions. « Ayant pris 46 hommes, dit-il, on tint conseil de guerre à leur égard, et, après les avoir exhortés à prier Dieu, on les mena deux à deux sur le pont de la Balsille, où on les mit à mort, et leurs cadavres étaient successivement précipités dans la rivière. » Ce n’est pas seulement sur les étrangers et les intrus que se déchaîne la colère vaudoise, c’est encore sur ceux des anciens coreligionnaires qui ont trahi leur foi et qui ne se soumettent pas immédiatement à l’arrivée du vengeur. La relation appelle ceux-ci des « révoltés, » et, s’ils ne se joignent pas aux guérillas, ils sont aussi exterminés. Ces excès trouvent leur explication, sinon leur excuse, dans les conditions faites aux expéditionnaires : ils étaient traités non en belligérans, mais en bandits, et tous ceux qui tombaient entre les mains des Français étaient pendus ou réservés pour les galères du « grand roi. » Les Piémontais eurent une attitude différente dès le mois de février 1690. Leur commandant, le marquis de Parella, et