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Pavia était battu par Serrano et ses lieutenans, c’était la dernière espérance qui s’en allait. Le 28 septembre, les deux armées se heurtaient au pont d’Alcolea, sur le Guadalquivir, à quelques lieues de Cordoue. Le marquis de Novaliches fut battu, horriblement blessé au plus épais de la mêlée, et tout fut perdu, si bien perdu que ni à Madrid, ni à Saint-Sébastien, on ne songea plus à prolonger la lutte, quoique les partisans d’une résistance désespérée parlassent encore de s’enfermer à Pampelune. Tout était bien fini, la révolution l’emportait.

Un double spectacle aussi instructif que saisissant se déroulait alors en Espagne. D’un côté, une reine vaincue et humiliée se trouvait réduite après trente-quatre ans de règne à n’être plus en sûreté dans son dernier asile. Certainement elle avait été populaire autrefois, maintenant elle se voyait abandonnée, et autour d’elle les hostilités, enhardies par la victoire de l’insurrection, commençaient à murmurer. Elle n’était plus la reine que pour ses serviteurs. Il ne lui restait plus, si elle voulait échapper au réseau révolutionnaire qui pouvait l’envelopper, qu’à se hâter de gagner la France, et, en allant au chemin de fer qui allait l’emporter, elle pouvait voir encore les guirlandes et les fleurs dont on avait orné la gare quand elle avait dû partir pour Madrid, et qui s’étaient flétries comme sa royauté. On suivait cette souveraine en fuite avec plus de curiosité que d’intérêt sympathique. Elle-même, émue et troublée, elle semblait ne pas comprendre ce qui lui arrivait. Après avoir épuisé l’affection populaire, Isabelle ne prenait guère le moyen de la regagner dans son malheur : elle s’en allait entre son confesseur et son intendant ! Je ne veux certes pas dire que la reine Isabelle n’eût fait tout ce qu’il fallait pour provoquer ces cruelles représailles de la fortune ; mais enfin, parmi ceux qui, au temps de ses prospérités, l’avaient le plus aidée à se perdre par les complaisances ou les violences de leur politique, beaucoup n’étaient pas là à l’heure des grandes misères de la chute, et parmi ceux qui maintenant la précipitaient du trône, la poussaient dans l’exil, plus d’un avait aspiré à ses faveurs et serait resté son complice, si elle lui avait donné le pouvoir, même sans s’inquiéter de la constitution. Tous étaient absens ou ennemis. Par une étrange combinaison de plus, cette dernière royauté bourbonienne survivant en Europe revenait chercher asile au berceau de sa famille, au château de Pau, et à la première étape de l’exil, à une petite station de chemin de fer, elle était reçue par un Napoléon !

D’un autre côté, c’était la révolution triomphant partout. La victoire d’Alcolea, retentissant à Madrid, ne laissait au général Concha que le temps de partir en remettant le pouvoir à une junte