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révolutionnaire toute préparée. Des juntes révolutionnaires, il en naissait de toutes parts, dans toutes les villes, maintenant que la royauté était vaincue. Peu à peu les généraux arrivaient à Madrid, Prim après Serrano, puis Topete, Gaballero de Rodas, et chacun avait ses ovations, surtout Prim. La ville se pavoisait, s’illuminait, s’emplissait de joies, de musiques, de programmes de la régénération nationale, de cris contre les Bourbons. A bas les Bourbons ! c’était le mot d’ordre dans cette confusion à la fois comique et sérieuse d’où sortait enfin un gouvernement provisoire dont les chefs étaient naturellement cefux qui avaient combattu. L’interrègne commençait. Quatre mois sont passés, et où en est-on aujourd’hui ? Que va-t-il sortir de cette vaste incohérence où tout a été possible ?

C’est là précisément le problème de cette révolution, légitime assurément comme protestation contre un système politique qui ramenait l’Espagne à je ne sais quel capricieux absolutisme, — énigmatique dans son but et dans ses aspirations, irrésistible le jour où elle s’est ouvertement déclarée contre un régime énervé par ses propres excès, et à peu près impuissante jusqu’ici à s’organiser, à refaire un gouvernement. Aujourd’hui en effet, comme il y a quatre mois, bien plus qu’il y a quatre mois, tout est à reconstituer ou à régulariser ; l’Espagne en est toujours à retrouver son chemin à travers l’obscurité qui s’épaissit. Elle a vécu, il est vrai ; elle a eu sous forme de ministère un gouvernement provisoire qui a réussi avec beaucoup de bonne volonté à ne pas se décomposer chaque jour, qui a fait des généraux et distribué des décorations, qui a proclamé des libertés et promulgué des lois, qui a supprimé des impôts et ouvert des emprunts ; elle n’a eu pendant ce temps que deux au trois insurrections sanglantes, l’une à Cadix, l’autre à Malaga, sans parler de cette effroyable scène de la cathédrale de Burgos, où un gouverneur en train de mettre la main de l’état sur des richesses d’église a été déchiré, mis en lambeaux par le fanatisme populaire. L’Espagne, j’en conviens, a vécu au milieu du déploiement de toutes les passions, elle a pu gagner ainsi le moment de la réunion d’une assemblée constituante ; en est-elle beaucoup plus avancée ? Sait-elle ce qu’elle sera demain ? Ce ne sont pas cependant les difficultés qui ont assailli la révolution espagnole à sa naissance ; elle n’a eu presque qu’à paraître, elle n’a trouvé ni contestations méticuleuses au dehors, puisqu’elle a été reconnue tout de suite, même par le pape, ni résistances sérieuses à l’intérieur, où il y a eu au premier instant une de ces unanimités qui sont le miracle trompeur de ces heures de crise. Les difficultés qu’elle a rencontrées, qu’elle rencontre plus que jamais aujourd’hui, ne sont venues que d’elle-même, et elles devaient venir, parce qu’elles sont le résultat de toute