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administration. Ces violences ont excité des insurrections redoutables, et l’Europe a retenti des clameurs que des témoins indignés proféraient contre le tyran. C’est à ces invectives que répondait le prince Michel lorsque, tombé du trône sous le poids des ressentimens soulevés par Milosch, et avant d’y remonter pour y périr d’une mort tragique, il écrivait du fond de l’exil en 1850 : « Oui, mon père a commis de grandes fautes. » Comment donc ces fautes, comment ces crimes, qu’il est impossible de dissimuler, ont-ils pu être supportés aussi longtemps par une nation généreuse et fière qui venait de se retremper dans les plus héroïques épreuves ? Comment a-t-on pu les oublier plus tard, et comment expliquer l’enthousiasme de la Serbie lorsque le vieux despote, après vingt ans d’exil, fut rappelé au pouvoir par les acclamations populaires ? C’est que le despotisme de Milosch, au moment même. où il paraissait le plus intolérable, était, je ne dirai pas justifié (il n’y a pas de justification pour de telles violences), mais rendu moins odieux par la situation et les besoins du pays. Milosch était véritablement l’homme nécessaire, et dans ses plus âpres fureurs il n’a jamais failli au rôle que lui assignait la destinée de ses compatriotes. Tyran jaloux, emporté, intraitable, oui, assurément, mais toujours tyran au service de l’indépendance nationale, voilà Milosch. L’unité de commandement était une question de vie ou de mort pour un état que menaçaient encore tant de périls ; il brisa d’une main de fer tous ceux qui lui disputaient une parcelle de son autorité. A la dynastie qu’il fondait comme la sauvegarde de la patrie, il fallait de grandes ressources en argent afin d’accomplir son œuvre ; il s’empara du commerce et gagna des millions. Dieu nous préserve de chercher des excuses au despotisme ! Il faut reconnaître pourtant que la puissance et les trésors de Milosch ne furent pour lui que des moyens de reconstituer la Serbie, de relever après cinq cents ans de servitude le royaume de Douschan et de Lazare. Ses ennemis même lui doivent cette louange, qu’il a toujours confondu son intérêt propre avec l’intérêt de la patrie. Diabolique habileté, disent les uns ; loyale inspiration, disent les autres ! Qu’on explique le fait comme on pourra, on ne saurait le révoquer en doute. Voilà pourquoi les Serbes ont tant pardonné au premier des Obrenovitch.

Pour nous, observateur attentif et désintéressé, au moment où nous résumons sur le prince Milosch tant de témoignages divers, nous ne pouvons nous empêcher de regretter que ce génie plein de ressources ait demandé à la terreur ce que lui eût accordé la confiance. Assurément ce serait chose puérile de porter nos délicatesses libérales dans l’histoire d’un peuple à peine échappé de la barbarie ; cependant, si on se rappelle la beauté morale des poésies serbes, cet idéal de justice, cette fleur de dévoûment, tous ces