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laissez dépouiller de la sorte ? Levez-vous, réclamez vos droits les armes à la main, tous les knèzes vous suivront. » Il leur promettait aussi l’appui des Turcs et la bienveillance du sultan. Marko Abdullah était oberknèze de la province de Poscharevatz, Stéphan Dobrinjatz occupait le même rang dans la province de Poretch. Si la conspiration eût éclaté à temps, elle eût pu causer de grands embarras à Milosch et de grands périls à la Serbie ; c’était la guerre civile en présence des Turcs, qui ne cessaient de guetter leur proie. Heureusement un jeune chef, Milko, au lieu de céder aux suggestions des deux oberknèzes, leur reprocha de tels desseins comme un parricide, puis, montant à cheval, partit au galop pour tout révéler au prince. Les conspirateurs essayèrent vainement de le faire assassiner sur la route ; il essuya des coups de feu sans recevoir de blessures graves, dispersa les assaillans, et arriva bride abattue à Kragoujevatz, où demeurait Milosch. C’était le 25 mars 1821. Le lendemain, les conspirateurs entraient en campagne ; en même temps le pacha de Belgrade faisait savoir à Milosch que le peuple s’était soulevé contre lui dans les provinces de Poscharevatz, et l’invitait à n’en concevoir aucune inquiétude ; il se chargeait, lui, Maraschli-Ali, d’envoyer ses troupes contre les insurgés et de rétablir l’ordre. En réalité, c’était la garnison turque de Belgrade qui allait soutenir les oberknèzes contre le prince. « Toi-même, répondit simplement Milosch, ne prends aucun souci ; je savais la conspiration avant toi, et je suffirai à tout. » La lutte ne fut pas longue ; abandonnés de leurs soldats, repoussés par le peuple, qu’ils prétendaient soulever, les knèzes rebelles furent obligés de fuir sans avoir combattu. Il tombèrent plus tard aux mains de Milosch, et subirent un interrogatoire ; on sut alors avec quelle adresse Maraschli avait exploité les fautes du gouvernement de Milosch pour jeter dans le peuple serbe un levain de divisions et de haines. Cette première insurrection n’offrait rien d’inquiétant en apparence, puisqu’elle avait fait éclater une fois de plus l’attachement de la nation au prince qu’elle s’était choisi. Le danger, c’était l’exemple, c’était l’avertissement donné aux mécontens et aux ambitieux qu’ils pourraient, un jour ou l’autre, trouver assistance chez les Turcs ; c’était aussi, à un point de vue tout différent, l’espèce d’encouragement fourni à Milosch, qui, assuré de la sympathie populaire, allait poursuivre sans scrupule la transformation dictatoriale du pays.

Les écrivains qui essaient de justifier Milosch ne peuvent retenir les aveux les plus étranges au milieu de leurs apologies. On nous révélera, par exemple, que le prince des Serbes avait commandité le commerce des bestiaux, le commerce du sel, et qu’il y gagna des sommes immenses. Est-il croyable qu’il ait ignoré les ruses et la rapacité de ses agens ? Peut-on admettre qu’il fût