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position stratégique, au milieu d’un vaste camp retranché que protège une ceinture de montagnes, c’est là que Milosch avait établi son centre d’action à l’époque où, considéré à l’étranger comme un vizir du sultan, il tendait sans relâche à réaliser son titre national, il voulait devenir véritablement le prince de la Serbie indépendante. C’est le berceau de la Serbie nouvelle, hélas ! un berceau sanglant, autour duquel ont flotté longtemps de funèbres images. Comment oublier surtout les exécutions du mois d’avril 1826 ? Ces mutilés à qui les bourreaux avaient coupé la langue et les mains, les hétairistes les promenaient dans les contrées du Danube, en Autriche, à Vienne, étalant ce douloureux spectacle aux yeux des peuples et disant : Voilà comment Milosch traite les amis des Grecs ! Il y avait là pourtant une équivoque et un mensonge. Mettez à part la barbarie du supplice, Milosch ne faisait que se défendre et défendre la cause, bien précieuse aussi, que lui avaient confiée les événemens. Ce n’étaient pas les amis des Grecs, c’étaient les ennemis des Serbes que la justice serbe avait frappés.


III

Les conspirations dirigées contre Milosch ne l’empêchaient pas de poursuivre sa tâche. La question pendante depuis 1812 entre les Serbes et l’empire ottoman, c’est-à-dire l’application de l’article 8 du traité de Bucharest, cette question qui avait déjà traversé tant de phases diverses, fait couler tant de sang, causé tant de catastrophes, cette question qui avait assuré le pouvoir à Milosch et justifié même son despotisme aux yeux du plus grand nombre de ses compatriotes, était toujours l’objet de sa sollicitude. Les députés serbes envoyés à Constantinople en 1820 pour le règlement de cette affaire étaient toujours retenus au sérail : on a vu que Mahmoud, effrayé de l’insurrection hellénique, les gardait en otages afin de contenir Milosch. Milosch disait lui-même : « J’ai les bras liés tant que mes plus fidèles serviteurs, les premiers enfans de la Serbie, sont dans la gueule du lion. » On ne peut méconnaître l’action du prince des Serbes quand on voit, vers la fin de mars 1826, le représentant de la Russie à Constantinople adresser un ultimatum à la Turquie au sujet de l’application du traité de Bucharest. Il y avait eu un changement de règne en Russie ; au doux et indolent Alexandre avait succédé un prince ambitieux, plein d’ardeur et d’énergie. Les démarches décisives que l’empereur Alexandre ajournait sans cesse, Nicolas les fit immédiatement. Dans la note émanée de son cabinet, le tsar menaçait la Turquie de cesser toute relation diplomatique et d’en venir aux hostilités, si l’on ne faisait droit aux réclamations