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principe civilisateur par excellence, le principe de la propriété, et ils ont formé la population de 3 millions d’âmes qui nous paie aujourd’hui près de 8 millions d’impôts. Les Cambodgiens, refoulés vers l’ouest, ne forment plus en Basse-Cochinchine qu’une partie minime de la population. Pour étudier leur civilisation, si différente de celle qui fleurit en Annam, il faut donc aller les visiter chez eux. Je m’y suis déterminé, afin de mettre à profit le temps dont je pouvais disposer avant le départ de la commission préparée par le gouverneur de la Cochinchine et chargée d’explorer le bassin du Mékong.

Je quittai Saigon au commencement de l’année 1866 sur une de ces petites canonnières si bien appropriées à la police des arroyos. À bord, près d’un missionnaire à longue barbe et de quelques officiers français, des Cambodgiens formaient un groupe à part, et causaient en fumant leur cigarette. C’étaient des parens du roi Norodom retournant chez eux après avoir assisté à l’exposition industrielle et agricole qui avait inauguré en Cochinchine l’ère des fêtes de la paix. Ils avaient l’esprit tout rempli du spectacle auquel ils venaient d’assister. Ce qu’ils avaient le plus de peine à comprendre, c’est que nous pussions à la fois distribuer des récompenses et laisser aux exposans la libre disposition des objets qu’ils avaient apportés. Tant de magnanimité les confondait et leur faisait faire des retours sur eux-mêmes. Ces mandarins, puissans et riches en dépit de l’exiguïté de leurs appointemens, qui ne s’élèvent guère, pour les mieux rétribués, à plus de 1,000 francs par an, se paient tous de leurs propres mains sur la bête populaire, livrée presque sans défense à une impitoyable exploitation. Leurs exigences n’ont d’autre limite légale que celle de leur intérêt même, qu’une rapacité trop arbitraire mettrait bientôt en souffrance, puisqu’elle provoquerait l’émigration dans une province voisine. Le neveu du roi, bambin de huit ans, a des bracelets d’or aux jambes et aux bras. Son cou est orné d’un collier bigarré composé de plaques d’or réunies par une ficelle à des morceaux de verre mêlés de quelques pierres plus ou moins précieuses. Il ne porte de cheveux que sur la partie antérieure de la tête, du côté droit seulement. L’occiput est complètement rasé à l’exception de deux tresses. Son costume se compose, comme celui de tous les Cambodgiens, d’une veste courte et d’un langouti. Ce dernier vêtement est une sorte de jupon en étoffe de coton ou de soie qui entoure le bas du corps jusqu’aux genoux, et dont une extrémité, relevée entre les jambes, vient se fixer par derrière à la ceinture, les mollets restant nus. Cela rappelle assez les braies celtiques et le pantalon large des Grecs ou des Albanais. Cette tenue, plus virile que la longue robe