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des Annamites, est généralement adoptée par les Siamois et par les Laotiens.

Tout princes que sont mes compagnons de voyage, ce n’est pas sans quelque répugnance que je me vois contraint de m’étendre à côté d’eux, le soir venu, pour essayer de dormir. Après des siècles de luttes trop souvent sanglantes, les préjugés de caste et de classe ont à peu près, grâce à Dieu, disparu en France ; mais pour un Européen, si dégagé qu’il puisse se croire de préjugés, le contact avec les représentans d’une race jaune, noire ou cuivrée est toujours une épreuve. Ce n’est qu’après de longs efforts qu’on arrive, sinon à comprimer tout à fait ces mouvemens intérieurs, du moins à dominer ce qu’ils ont de trop impérieux. À ce moment, nous quittions le Donnaï pour entrer dans le Soirap. Nous étions tout près de la mer, qui envoyait jusqu’à nous ses parfums vivifians et ses eaux agitées. Le vent venait du côté de la France avec la mousson de sud-ouest, et je l’ai aspiré longtemps avant de m’enfoncer de nouveau dans les terres. Nous franchîmes rapidement les deux Vaïcos pour tomber dans l’arroyo de la Poste, canal creusé en partie par la nature, en partie par la main de l’homme, et qui relie le grand fleuve du Mékong à la rivière de Saïgon. Il court comme une rivière de parc anglais entre deux rives couvertes d’aréquiers, de palmiers et de mille arbres et plantes aux fleurs multicolores, au feuillage varié. Ce ne sont plus ces éternels et monotones palétuviers des autres arroyos de la Cochinchine, arbustes amphibies, industrieux au point de conquérir sur l’eau de vastes provinces par l’enchevêtrement de leurs racines envahissantes. Les barques qui nous croisent sont, suivant la coutume, couvertes de pavois. On pourrait croire que l’équipage s’occupe de sécher son linge, si l’équipage portait du linge, et si l’on ne voyait flotter à la place d’honneur les trois couleurs françaises.

L’arroyo de la Poste est célèbre en Cochinchine, où le riz pousse à merveille, mais où le pittoresque fait absolument défaut. Voici Mytho, chef-lieu d’une de nos trois anciennes provinces. Cette petite ville, située au confluent de l’arroyo de la Poste et du Mékong, prenait une certaine importance ; mais depuis l’annexion récente de Vinh-long, les Chinois l’ont un peu désertée, et son développement s’arrête. Au milieu des cases qui se pressent sur les quais, on remarque l’établissement des sœurs de la Sainte-Enfance, qui ne sauraient manquer d’attirer les enfans rien qu’en leur inspirant le désir d’être bien logés dès ce monde. La citadelle est une vaste enceinte construite par les Annamites, et dans laquelle se trouvent renfermées presque toutes les habitations des Européens résidant à Mytho. Celle du commandant de la marine est une ancienne case