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présence seule empêcha la révolte ; le général siamois le sentit, et, ne voulant pas assister plus longtemps au spectacle, si pénible pour lui, des progrès de notre influence, il saisit cette occasion pour annoncer qu’obligé d’aller chercher des ordres nouveaux il laisserait son frère pour tenir sa place auprès du roi. Il jugeait d’ailleurs utile d’emmener à Bangkok l’auteur d’une insurrection qui aurait pu compromettre le repos d’un état tributaire de Siam, et il espérait qu’une année passée dans un couvent et sous l’habit des bonzes inspirerait au jeune prince de meilleurs sentimens. C’est ainsi qu’il masqua sa retraite. Quant à nous, nous venions de rendre un service, d’exercer en quelque sorte à l’avance notre protectorat. Le moment était donc favorable pour le faire reconnaître régulièrement, sauf à n’en tirer que plus tard toutes les conséquences.

L’amiral de La Grandière, mettant ces circonstances à profit, arriva sur-le-champ à Houdon. Le roi, un peu surpris peut-être, et ne comprenant qu’avec peine le sens du mot protectorat, encore plus difficile à définir en cambodgien qu’en français, consentit facilement à revêtir de son sceau un traité en dix-neuf articles, dans lequel le protectorat de la France sur le Cambodge, solennellement proclamé, était entouré de toutes les garanties que nous désirions obtenir. Il fut entendu que jusqu’à la ratification de l’empereur des Français la convention n’avait qu’une valeur éventuelle. Nous venions d’amener le roi à faire acte de volonté souveraine et à prendre avec nous un engagement formel, nous pouvions croire à un premier succès. a peine cette nouvelle fut-elle parvenue à Siam qu’elle y souleva des colères dont le retentissement effraya notre nouveau protégé au point de lui faire oublier sa parole et de nous créer de véritables embarras.

Le kalahom[1] déclara nettement au commandant du Forbin, envoyé à Bangkok à l’occasion de la mort du consul de France, que le roi du Cambodge n’était qu’un vice-roi vassal de Siam, qu’il n’avait pas le droit de traiter avec nous, et que ses intérêts ne pouvaient se régler qu’à Bangkok ; puis, se radoucissant, il fit très clairement entendre que son maître serait disposé à partager avec nous ce qui restait de l’ancien royaume cambodgien. Nous nous trouvions en face d’affirmations précises, la réponse dut être catégorique. Il fut en effet officiellement signifié au kalahom que cette prétendue vassalité du roi du Cambodge n’avait jamais été reconnue par la France, qui était résolue à n’accepter aucun intermédiaire pour traiter avec lui. On tirait à Bangkok de la mission confiée à M. de Montigny en 1855 un argument contre nous, et l’on

  1. Premier ministre du roi de Siam.