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et doucement harmonieuse de Cowper. À ce pays, aussi calme et reposé dans sa vie morale qu’il est assiégé de tempêtes dans sa situation au milieu des mers, on a envié ses poètes qui ont charge d’âmes, ses vicaires de Wakefield, qui passent de l’homélie à la méditation lyrique, prédicateurs modestes dans leur paroisse et nourrissons de la muse dans la littérature. C’est ce qu’on appelle les parson-poets, les poètes-curés. Il est tel grand critique de notre pays, poète lui-même, qui se serait volontiers bâti en imagination un presbytère idéal où il serait venu de temps en temps, loin des hommes et du bruit irritant des passions politiques, verser dans quelque épître ou dans quelque sonnet les plus exquises délicatesses de son talent. Beau rêve assurément ! ce presbytère-là promettait moins de renommée, mais plus de bonheur et de paix que le grand diocèse orageux de la critique militante, de la polémique journalière. C’est un rêve qui ne devait se réaliser qu’en Angleterre, et dont le temps même est passé. Cette poésie à l’ombre du clocher ne pouvait exister qu’en pays protestant, elle ne pouvait fleurir et prospérer que grâce à ses deux tuteurs naturels, l’état et l’église. Voyez aussi comme elle a ses paroisses diverses, et comme elle se divise naturellement en sectes qui vivent plus ou moins en relations de bon voisinage, école de La Crusca, lakistes, cockneyistes ou école de Londres, école italienne, poètes-ouvriers. Ce ne sont pas tous des membres du clergé, comme au siècle précédent, mais ils en suivent les traditions et les habitudes. Byron, qui s’est partout moqué des parson-poets (le mot est de lui), a ouvert contre eux l’attaque dans ses Bardes anglais, il a suspendu le combat pendant les sept années de son époque intermédiaire, et l’a repris avec force, avec fureur, dans Don Juan. En remontant jusqu’à Pope, il ne suit pas seulement son goût et son penchant ; il enjambe, pour ainsi dire, par-dessus la renaissance religieuse du siècle précédent, par-dessus la basse et la haute église, pour se trouver des ancêtres littéraires. Il se plaît d’ailleurs dans l’époque classique de Charles II et de la reine Anne ; c’est le temps des déistes. Il est en vers un élève de Bolingbroke et des sceptiques. Aujourd’hui même, lorsque Swinburne et quelques autres se plaignent que Tennyson est trop champêtre, que Wordsworth découpe des pages dans la nature comme des morceaux de gâteau pour prendre le thé, lorsqu’ils vont criant que toute la poésie anglaise est une intarissable pastorale, ils recommencent la campagne de Byron. Leur instinct ne les trompe pas : la vieille Angleterre, si elle est quelque part, respire encore dans les champs, dans ces innombrables résidences des comtés qui font que ce pays est si différent du reste de l’Europe. Les disciples nouveaux de Byron devaient reprendre la lutte contre les parson-poets.