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LA SERBIE AU XIX* SIÈCLE.


après, le traité était signé. Que faisait cependant le général Andréossi, envoyé par Napoléon auprès de Mahmoud ? Au mois de juin, quand il ne manquait plus au traité que la ratification des souverains, le général Andréossi était à Laybach, attendant les instructions du maître. « S’il fût arrivé à ce moment, dit M. Schlosser, il aurait pu encore empêcher le sultan de donner sa signature[1]. » Mahmoud en effet était fort irrité contre son représentant à Bucharest ; c’était Démétrius Morusi, premier drogman de la Porte, qui avait conduit les négociations, tandis que son frère Paganotti le remplaçait à Constantinople. Souples, rusés, ambitieux, on les soupçonnait l’un et l’autre de viser à la dignité d’hospodars. Mahmoud, qui voulait profiter des circonstances pour reprendre jusqu’à la Bessarabie, considéra comme honteux un traité qui lui enlevait un morceau du pays moldave ; il crut à tort ou à raison que Démétrius et Paganotti avaient trahi les intérêts de la Turquie afin de se ménager des protecteurs à Saint-Pétersbourg. Les deux frères auteurs du traité de Bucharest furent étranglés par son ordre. Mahmoud se décida pourtant à ratifier au commencement de l’automne le traité signé le 28 mai. Napoléon ne connut ce traité qu’à Moscou, quinze jours après l’incendie de la ville. Le 30 septembre, il écrivait à son ministre des relations extérieures ce billet d’une brièveté significative : « Monsieur le duc de Bassano, je vous envoie le traité entre la Russie et la Porte qu’on a trouvé ici dans les journaux de Moscou. Il paraît que vous ne l’avez pas encore reçu de Constantinople, car vous ne me l’avez pas envoyé[2].

Voilà en quelques mots l’histoire du traité de Bucharest, et c’est ainsi que les grandes luttes européennes allaient avoir leur contrecoup sur l’obscur théâtre de Belgrade ; les Serbes de Kara-George restaient seuls en face des soldats irrités de Mahmoud. Assurément l’œuvre du 28 mai 1812 a eu de bien autres conséquences. De même que la Russie, par d’habiles concessions à la Suède, s’était affranchie de tout embarras sur la Baltique, elle s’était dégagée sur le Danube par l’abandon des chrétiens d’Orient ; libre de tous côtés, maîtresse de toutes ses forces, elle pouvait résister à la formidable invasion de l’empereur ; les troupes qui jusqu’en septembre avaient

    Constantinople. » Correspondance de Napoléon Ier, t. XXIV, p. 89. — Napoléon savait à cette date qu’il y avait un traité de paix entre la Russie et la Turquie, mais que le sultan refusait de le ratifier ; ce refus entretenait sa confiance. Il est probable pourtant que cette confiance ne tarda point à être ébranlée, puisqu’il écrivait huit jours après : « Je ne comprends rien aux affaires de Turquie. » 29 juillet 1812. Correspondance, t. XXIV, p. 103.

  1. Geschichte des achtzehnten Jahrhtinderts und des neunzehnten bis sum Sturz des fransœsischen Kaiserreichs. Heidelberg, 1848, t. VII, p. 802.
  2. Correspondance de Napoléon Ier, t. XXIV, p. 234.