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mit à les exposer au cardinal Fesch lui-même. Peu à peu la conversation devint générale entre les ecclésiastiques présens. Les opinions qu’il entendit émettre par tant de gens éclairés ajoutèrent à la tristesse qu’éprouvait M. de Boulogne de s’être ainsi laissé surprendre. Arrive sur ces entrefaites l’évêque de Tournai, qui était la droiture même, continue M. de Broglie. À lui aussi, les écailles tombèrent des yeux, et tout de suite il annonça qu’il se rétracterait à la séance du lendemain[1].

Ces confidences qu’échangeaient dans sa propre habitation les membres de l’ancienne majorité de la commission agirent-elles sur la conviction du président du concile et firent-elles naître en lui quelques scrupules ? Nous ne savons. Toujours est-il qu’à l’ouverture de la séance du lendemain le cardinal Fesch, s’adressant à ses collègues avec une loyauté digne de tout éloge, leur dit : « Je sais, messeigneurs, que plusieurs d’entre vous ont témoigné du regret de leur vote d’hier. Comme rien ne doit se faire ici par surprise, je remets la question sur le tapis, et regarde comme non avenu ce qui a été précédemment décidé. » Le cardinal Spina dit alors qu’en effet il avait éprouvé des alarmes au sujet de son opinion de la veille. « Il avait consulté, et il avait appris, ce qu’il ignorait absolument, qu’une loi de l’état était une chose fixe et obligatoire pour tous les sujets de l’empereur, y compris les évêques. Il ne pouvait donc consentir à demander que le décret projeté devînt loi de l’état. Étant archevêque et cardinal, il ne s’exposerait point à ce que le pape lui reprochât un jour de l’avoir lié par un pareil décret. Il rétractait donc son vote. Le cardinal Caselli parla dans le même sens. L’évêque de Tournai déposa sur le bureau sa rétractation formelle. « Veuillez nous en donner lecture, » lui dit le cardinal Fesch. Cette rétractation de M. Hirn produisit un grand effet, car elle était, au dire de M. de Broglie, très fortement motivée. Les évêques de Troyes et d’Ivrée s’exprimèrent à peu près dans les mêmes termes. Avec une impartialité évidente qui étonna un peu tout le monde, le cardinal Fesch se mit à recueillir les suffrages qui réduisaient à néant la décision prise dans la précédente séance, tout en déclarant que pour son compte, il persistait dans son opinion. La patience de l’évêque de Tours ne supporta pas aussi bien cette rude épreuve. « Tout cela n’est qu’absurdité ! s’écria-t-il. — Monseigneur, répliqua M. de Broglie, c’est peut-être là un compliment, mais à coup sûr ce n’est pas un argument. » M. Duvoisin alla jusqu’à dire que le schisme commencerait bientôt, et que ceux-là en seraient cause qui n’avaient pas voulu accepter le décret. « Étranges schismatiques, fit observer

  1. Journal de M. de Broglie, évêque de Gand.