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leur président ; vous leur avez affirmé de la part de l’empereur qu’ils pouvaient dire leur façon de penser en conscience et sans aucune crainte, et vous savez s’ils ont fait autre chose. — Cela est très vrai, répondit le cardinal, et je saisirai la première occasion d’en parler. Mon honneur y est intéressé ; c’est une injure personnelle que l’on m’a faite. Je croirai toujours de mon devoir de défendre toute personne innocente et inculpée à tort : à plus forte raison suis-je porté à le faire pour mes collègues, pour mes amis, pour des prélats qui étaient du même parti que moi ; mais dans ce moment je ne vois plus l’empereur. — L’empereur, repartit Mme de Murat, ne peut pas vous empêcher d’entrer chez lui. N’êtes-vous pas son oncle ? Il ne vous mettra pas à la porte, si vous vous présentez. — Qu’est-ce-à-dire : il ne peut pas ? J’y ai été mis deux fois, l’autre jour, à la porte. » Mme de Lameth dit alors au cardinal qu’on parlait de réunir de nouveau le concile ; ce serait là une occasion toute naturelle d’intercéder en faveur de son neveu. « Qu’ils fassent tout ce qu’ils voudront avec leur concile ! Certes je ne le présiderai point, à moins qu’ils ne m’y conduisent entre quatre fusiliers, car de moi seul je n’irai jamais. » Le cardinal congédia ces dames en leur promettant de s’employer en faveur de l’évêque de Gand aussitôt qu’il en trouverait l’occasion[1].

Mme de Lameth n’était pas mal informée à propos d’une nouvelle réunion probable du concile. Dans le premier mouvement de sa grande irritation, l’empereur avait songé à s’adresser au corps législatif, qui siégeait encore. Il avait consulté à ce sujet le concile de philosophes et d’avocats, comme il les appelait, auquel il avait donné ordre de se réunir chez le grand-juge[2] ; mais ces messieurs ne l’avaient pas beaucoup encouragé dans son projet. Sur ces entrefaites était arrivée de Savone une lettre du préfet de Montenotte en date du 11 juillet. Si elle était parvenue quelques jours plus tôt, cette lettre eût probablement beaucoup changé les choses, et aurait peut-être empêché l’empereur de dissoudre le concile. M. de Chabrol faisait en effet savoir au ministre des cultes « que la santé du saint-père s’était peu à peu rétablie[3]. »

« Il est maintenant, écrivait-il, dans le même état où il était avant l’attaque d’hypocondrie. Son esprit est parfaitement calme, et ses idées se sont rassises. On ne lui a plus remarqué les inquiétudes qu’il

  1. Conversation que j’ai eue avec le cardinal Fesch peu de jours après l’arrestation de mon frère. (Manuscrit de Mme la marquise de Murat.)
  2. Voyez la note dictée en conseil des ministres, insérée à la date du 4 juillet dans la Correspondance de Napoléon Ier, t. XXII, p. 296.
  3. Lettre de M. le comte de Chabrol, préfet de Montenotte, au ministre des cultes 9 juillet 1811.