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Le chevalier de Beauharnais, avec l’Achille, avait abordé le Royal-Oak, et il allait y descendre avec son équipage lorsque le feu avait pris à son bord à des gargousses. L’explosion avait défoncé ses ponts et lui avait tué une centaine d’hommes. Il s’était alors éloigné, et le Royal-Oak, dont le beaupré s’était rompu dans l’abordage, en avait profité pour prendre la fuite. Le chevalier de Courserac avait fait par la rupture de ses grappins un faux abordage sur le Chester. Le chevalier de Nesmond, avec l’Amazone, s’était empressé d’occuper sa place ; mais, ayant mal calculé la distance, il avait dépassé l’ennemi. Courserac était alors revenu, et s’était rendu maître du Chester. M. de La Moinerie-Miniac avait soutenu, depuis le commencement de l’action, un combat meurtrier avec le Ruby, lorsque l’escadre de Forbin était enfin arrivée. Le comte lui-même était venu donner à toutes voiles contre la poupe du vaisseau anglais, et l’avait forcé d’amener son pavillon.

D’autres navires de cette escadre s’étaient mis à la poursuite du convoi, dont l’Amazone, après son abordage manqué du Chester, avait, selon les instructions de Du Guay-Trouin, capturé un grand nombre de bâtimens. Enfin deux capitaines de Forbin, le chevalier de Tourouvre, qui montait un vaisseau de 54 canons, et Bart, qui commandait le Salisbury, donnaient la chasse au Devonshire, le seul des vaisseaux anglais qui fût resté sans adversaire, et qui, avec ses 92 canons, écrasait leurs faibles navires du feu de son artillerie. L’abordage n’était pas possible, car la mâture des deux vaisseaux français n’atteignait pas aux barres du Devonshire, Cependant ils ne se décourageaient pas, et Bart venait de prendre près de l’ennemi la place que Tourouvre abandonnait un instant pour se réparer. Du Guay-Trouin hésitait entre le désir de les aider et l’envie d’amariner le Royal-Oak, proie certaine, s’il était poursuivi. Ce fut pour le parti le plus généreux qu’il se décida. Il rejoignit le Devonshire, et, l’élongeant à portée de pistolet, il allait l’aborder quand il vit sortir de sa poupe une épaisse fumée. Il attendit alors que ce commencement d’incendie se fût éteint, et resta pendant près de trois quarts d’heure sous le feu meurtrier de son ennemi, ne pouvant tenter l’abordage, car l’incendie continuait, et ne voulant pas l’abandonner. Enfin, désespéré et ayant perdu 200 hommes, il résolut de l’accoster à tout prix. Déjà les vergues des deux vaisseaux se croisaient, lorsque de Brugnon, l’un des officiers de Du Guay-Trouin, l’avertit que le feu, jusque-là concentré dans la poupe du Devonshire, gagnait ses haubans et ses voiles de l’arrière. Il n’y avait pas un instant à perdre. Du Guay-Trouin envoya ses officiers, armés de haches, couper au bout des vergues les manœuvres, qui s’étaient déjà mêlées, appareilla ses voiles de l’avant, fit changer la barre de son gouvernail, et fut assez heureux pour se dégager. Il