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presque horizontalement sur l’eau, et qu’il fallut abattre, mesurait un diamètre énorme. Mes indigènes tombaient de temps en temps dans l’eau. Un bruyant éclat de rire m’informait de l’accident, qui aurait pu être grave, si les Laotiens ne nageaient à merveille, et je voyais le maladroit, remonter à bord, confiant au soleil le soin de sécher son vêtement sur son corps. Un ou deux sauvages faisaient partie de l’équipage de ma barque. Facilement reconnaissables à leurs traits, ils l’étaient encore à leur mise négligée; leur langouti se réduisait à une sorte d’étroit caleçon, par derrière même tordu comme une corde. Ces braves gens, requis pour une dure corvée, semblaient pourtant de joyeuse humeur, et je ne reprochais à leur gaîté que d’être trop expansive. Leurs éclats de rire ressemblaient à des hennissemens de chevaux de trait. Ils les renouvelaient à chaque saillie de l’un d’entre eux, ou bien, pour s’exciter en cas de manœuvre difficile, ils hurlaient comme des bêtes fauves. On aurait fini par se lasser de tout ce tapage, si l’on n’avait réfléchi fort à propos, au moment de se mettre en colère, que tant de bonne volonté méritait quelques égards.

En approchant de la province de Khong, la vallée se rétrécit; mais le fleuve gagne en profondeur. Le lit, enfin débarrassé de roches, devient navigable. De tous côtés sur les rives s’étendent de gros villages entourés de bananiers et de cocotiers qui donnent au pays un aspect riant et prospère. Le gouverneur, prévenu de notre arrivée, nous avait fait préparer un vaste logement; il nous informa qu’il était prêt à nous recevoir lui-même. Nous trouvâmes un vieillard accroupi, impotent, obèse, mais à la physionomie avenante. Ses cheveux blancs, son corps enduit de safran, lui donnaient quelque ressemblance avec les divinités du pays. Bien que cet excellent Laotien soit nommé directement par la cour de Bangkok comme le gouverneur de Stung-Treng, il ne paraît pas ressentir de prévention contre nous : il a la bonhomie un peu protectrice permise à un vieillard. Il n’est pas revenu les mains vides de ses nombreux voyages à Siam. Avec un cynisme plein de simplicité, il nous invite à regarder une photographie obscène insérée dans le manche d’un couteau. Pour nous prouver ensuite que l’art laotien s’inspirait des mêmes pensées que l’art européen, il se fit apporter par une des nombreuses jeunes femmes qui assistaient à l’entrevue deux statuettes en bois grossièrement sculptées et indignes de la dernière place dans le dernier des musées secrets.

Les maisons des indigènes, qui se groupent, comme d’ordinaire, autour de l’enceinte renfermant le palais du gouverneur, ressemblent beaucoup aux cases cambodgiennes. Elles s’en distinguent peut-être par la hauteur et l’inclinaison prononcée des toits, ce qui