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semble indiquer que les pluies sont ici plus abondantes ou plus redoutées. Les fenêtres sont étroites et rares, d’où l’on pourrait aussi conclure que le Laotien apprécie les douceurs du home mieux que son voisin du Cambodge, qui vit presque en public. Les hommes ont, comme au Cambodge et à Siam, les cheveux rasés, sauf sur la partie supérieure de la tête, qui est ornée d’un court toupet. Les femmes, vêtues d’un jupon et d’une écharpe de nuance éclatante, moins faite pour voiler les seins que pour faire ressortir la couleur à peu près blanche de la peau, relèvent leurs cheveux en chignon; elles sont fort peu timides, deviennent bientôt familières, provocantes même avec les hommes de l’escorte, et poussent le sans-gêne jusqu’à venir se baigner nues dans le fleuve à deux pas de chez nous. La province de Khong a donné au fleuve le nom qu’il porte pendant une partie considérable de son cours. Jusqu’à son entrée en Chine, les indigènes l’appellent en effet Nam-Khong ou eau de Khong, fleuve de Khong, dénomination beaucoup plus rationnelle que celle de Mékong, adoptée par les géographes européens, et qui signifie textuellement mère de Khong. Elle faisait autrefois partie du Cambodge, comme celle de Tonli-Repou, qui l’avoisine, et dans une île on retrouve encore une population cambodgienne.

Le courant empruntait en ce moment une force nouvelle aux pluies torrentielles qui tombaient chaque jour. Les eaux montaient sensiblement en vingt-quatre heures, et l’on pouvait estimer à 4 mètres au moins la hauteur de la crue totale depuis un mois et demi. A mesure que le niveau s’élevait, le fleuve faisait sur ses rives submergées une ample moisson de débris végétaux qu’on recueille sur tout son parcours. La quantité en est si grande qu’à Pnom-Penh et jusqu’aux environs du Grand-Lac les indigènes trouvent dans son lit leur provision de bois. Nous voyions passer d’énormes troncs d’arbres, semblables, suivant qu’ils étaient isolés ou réunis par les racines enchevêtrées, à des îles mobiles ou aux débris monstrueux de quelque vaisseau naufragé. D’énormes bambous, encore chargés de terre à l’extrémité inférieure, descendaient en flottant perpendiculairement; les remous, les raille tourbillons qu’ils traversaient, les faisaient tituber comme des géans ivres.

Lorsque nous allâmes prendre congé du vieux gouverneur, celui-ci s’épuisa en souhaits de bonheur. Il nous associa aux bonnes œuvres qu’il accumulait sur la fin de ses jours; il s’imaginait en effet, comme la plupart de ses collègues, que, pourvu qu’on emploie saintement une partie de l’argent volé pendant une longue vie, Bouddha pardonne d’avoir gardé le reste. Notre hôte reçut avec reconnaissance une montre d’argent. Elle lui servirait, dit-il, comme ornement, car mettre un objet pareil entre les mains d’un sauvage