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miers, et laisse apercevoir, découpé par les arcades mauresques de l’édifice, un petit morceau du ciel. Sur les flancs de cette colline sont groupés les misérables gourbis en terre qui contiennent la population indigène. Plus bas, autour d’une place carrée taillée dans le bois de palmiers, on a construit l’église, le bureau arabe, la maison du commandant supérieur, enfin quelques boutiques françaises d’épiciers et de marchands de vin. Les palmiers se partagent le reste de l’oasis avec des jardins où croissent pêle-mêle des arbres fruitiers de toute espèce. Autour des troncs grimpent des vignes entrelacées qui courent de branche en branche dans un pittoresque désordre. De petits canaux viennent apporter à chacun de ces jardins l’eau à laquelle il a droit. Ceux d’entre eux qui touchent au désert sont protégés des effets désastreux du vent et du sable par des murs de boue et de briques cuites au soleil.

Les troupes qui composent la colonne mobile sont campées en dehors de l’oasis, à 1 kilomètre environ dans le désert. L’emplacement de ce camp offre les spécimens les plus variés et les plus originaux d’une architecture locale née du manque absolu de bois. Des briques de terre et de la boue pour ciment, voilà les seuls matériaux. Les pleins cintres, les ogives, les arceaux mauresques, tous les styles et tous les ordres ont été rais à contribution. Chacun a pu exercer dans l’édification de sa demeure l’imagination et l’esprit créateur dont le ciel l’a doué. Lorsque j’arrivai, l’animation était grande autour de ces baraques improvisées. Sur le bord du ruisseau étaient rangés les petits tonneaux de l’équipage d’eau, qu’on emplissait l’un après l’autre. Les goums, conduits par leurs aghas et leurs caïds, arrivaient de tous côtés, et venaient bivouaquer autour de nous. Sur toutes les dunes de sable, on voyait apparaître des groupes de chameaux qui s’avançaient lentement et sans ordre, et venaient s’agenouiller sur l’emplacement qui leur était désigné. Dans l’intérieur du camp, chacun faisait ses préparatifs de départ. Les anciens soldats, ceux qui avaient déjà navigué dans le désert, dirigeaient le travail, donnaient des conseils aux plus jeunes, raillaient les maladroits en les traitant de roumis, et enseignaient à tous les petites combinaisons que leur avait suggérées l’expérience. On les écoutait comme des oracles. Ce n’est pas une petite affaire, pour un homme qui va passer six semaines ou deux mois sur son cheval, de préparer son installation; aussi y met-il tout le soin possible. Chaque détail du harnachement est passé en revue. L’un raccommode ses vêtemens, déjà couverts de bien des pièces; l’autre confectionne une visière immense pour se garantir du soleil, presque tous s’ingénient à faire tenir sur leur selle le plus de choses possible. Ils ne réfléchissent pas qu’en augmentant ainsi la charge de leur cheval, c’est leur propre sûreté qu’ils compromettent. Cette