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s’est tenu en matière d’assurances maritimes. Il va de soi qu’il ne s’agit pas de l’assurance appliquée aux bâtimens ou à la cargaison, devenue de règle absolue ; mais qu’arrive-t-il lorsqu’un navire fait naufrage et périt corps et biens, ou qu’une partie de l’équipage réussit seule à échapper à la mort ? Grâce aux compensations dérivant de l’assurance, l’armateur est entièrement indemnisé ; il encaisse le prix de son bâtiment et celui des marchandises. Rien de mieux ; on ne peut que souhaiter de voir l’assurance, entrant de plus en plus profondément dans nos mœurs, réparer les désastres individuels. Que se passe-t-il cependant pour les pauvres familles de marins qui ont perdu un fils ou un père, parfois leur unique gagne-pain ? Les voilà vouées au deuil et à la misère, sans qu’elles puissent attendre aucun adoucissement autre que celui qui provient de la charité privée. Est-ce équitable ? Serait-ce donc là le dernier mot de l’assurance maritime ? Une compensation pour la perte de l’instrument matériel et inerte, rien pour la perte de l’instrument sensible et vivant. Une telle conclusion serait en contradiction manifeste avec les instincts d’humanité qui sont l’honneur de notre civilisation.

Qu’on ne dise pas que les matelots peuvent aussi se faire assurer. Cela viendra peut-être ; pour le moment, il ne faut pas songer à leur faire changer en un jour leurs habitudes séculaires ; si l’on veut neutraliser leur indifférence, il faut s’adresser à l’armateur. C’est par lui que l’assurance pourra peu à peu pénétrer dans les habitudes des gens de mer. Quand il fait assurer son bâtiment, pourquoi n’assure-t-il pas la vie de l’équipage ? À défaut d’une loi positive l’obligeant à placer les hommes qu’il emploie sous l’égide de la garantie à laquelle il recourt pour sa fortune matérielle, un usage placé sous la sauvegarde des mœurs publiques devrait moralement l’y contraindre. Il agirait en ce cas-là comme un mandataire bénévole. On ne flatte point les armateurs, on leur rend simplement justice, quand on affirme qu’ils iraient au-devant d’une semblable prévision, si le signal était donné par une influence suffisamment autorisée, par exemple par les chambres de commerce de nos principaux ports marchands. La conscience publique serait comme soulagée en sachant que sur le prix de l’assurance, une quotité déterminée garantit l’avenir des enfans, de la veuve de tout matelot victime d’un naufrage. Payant sa prime par intermédiaire et pour ainsi dire sans le savoir, le marin en viendrait peu à peu à comprendre, quand le malheur frapperait quelqu’un de ses camarades, les avantages d’un contrat aujourd’hui absolument ignoré de lui. Cette réforme, que l’économie politique conseille, que l’humanité commande, correspond à un sentiment encore très confus,