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disposition de tous par l’hospitalité. Quels soupers dans cette salle à manger, soutenue par trente colonnes d’onyx, que les naturalistes auront soin de décrire et de faire admirer à la postérité la plus reculée!

Après les triumvirs, leurs amis ou leurs subordonnés ont part à la curée. En première ligne, le frère de Pallas, Félix, le beau Félix, plus glorieux encore que son frère et plus soucieux des formalités légales. Il ne se contente pas de princesses ou d’impératrices pour maîtresses, il lui faut des reines pour épouses légitimes. Tacite affirme qu’il en a épousé jusqu’à trois : nous n’en trouvons que deux citées par les historiens, Drusille, petite-fille de Cléopâtre et d’Antoine, parente par conséquent de Claude, une autre Drusille, fille du roi Hérode Agrippa, que Félix a enlevée de force au roi d’Émèse, son mari. Un descendant des rois d’Arcadie devait tenir à ne point se mésallier. Pour soutenir ses grandes alliances, Félix pille les provinces dont il est le procurateur. La Judée et la Syrie, que l’on avait jusque-là sagement administrées, n’ont jamais été soumises à pareille épreuve. Pallas, à Rome, couvre toutes les exactions et arrête jusqu’à l’idée de se plaindre. Félix est donc à la fois un grand voleur, ce qui est le mot d’ordre du temps, et un séducteur d’une espèce rare, qui ne consent à épouser que des reines.

Polybe, secrétaire et collaborateur de Claude, est un autre potentat. Il a l’oreille du prince. Il est spirituel, pénétrant, vaniteux, homme de cour, désintéressé peut-être, parce qu’il cultive les lettres et parce qu’il est amoureux. Messaline lui a inspiré une passion insensée : elle n’est point cruelle, et ses bras n’ont jamais refusé de s’ouvrir à personne; mais il est jaloux, et à quelle épreuve n’est point mise sa jalousie! Il est affable, obligeant, et tous les solliciteurs de Rome heurtent sa porte. Sénèque est de ses amis : Sénèque, exilé en Corse, apprend qu’il a perdu un frère chéri, et rédige aussitôt son éloquent traité intitulé Consolation à Polybe. Les flatteries qu’il lui adresse et celles qu’il ajoute pour Claude sont perdues : Polybe n’usera point de son crédit pour le faire rappeler, car c’est Messaline qui a exilé Sénèque. Le peuple, qui n’aime point Polybe, l’a montré du doigt au théâtre, quand l’acteur a déclamé ce vers grec : « insupportable est le grenier d’étrivières que la fortune élève ! » Polybe, assis auprès de Claude, a pâli de rage; mais son orgueil l’a soutenu, et il a répliqué tout haut par cet autre vers grec qui aurait dû avertir son souverain : « on a vu des chevriers devenir rois. »

L’eunuque Posidès est le compagnon de guerre, le camarade de tente de Claude dans sa grande expédition contre les Bretons, qui a duré seize jours; l’héroïsme de Posidès a été récompensé par le don d’une lance sans fer (hasta pura), un des honneurs militaires