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seurs un premier degré de complications ; il y a une énorme distance de la larve à l’insecte parfait, de la chenille au papillon. Or de nos jours le nombre et la diversité des formes comprises dans une seule famille physiologique se sont multipliés d’une façon inattendue. Il a bien fallu tenir compte des faits nouveaux acquis à la science. Le premier, Vogt eut le mérite de comprendre dans sa définition de l’espèce la notion des phénomènes de généagenèse[1] ; mais il laissa en dehors ceux qui se rattachent au polymorphisme, dont divers travaux récens, en particulier ceux de Darwin, ont montré la haute importance. Au fond, tous ces phénomènes, considérés au point de vue où nous sommes placés en ce moment, aboutissent à élargir de plus en plus l’idée qu’on se faisait autrefois de la famille physiologigue.

Dans les cas de généagenèse même les plus compliqués, nous trouvons en effet toujours, à l’ouverture d’un cycle de générations, un père et une mère caractérisés par la présence des élémens reproducteurs. Une méduse femelle pond des œufs que féconde une méduse mâle. De chacun de ces œufs sort un être semblable à un infusoire, fils immédiat des parens. Celui-ci se fixe et se transforme en une sorte de polype qui produit par bourgeonnement un nombre indéterminé d’individus sans sexe. À son tour, l’un de ces individus se métamorphose, et se fractionne en méduse chez qui reparaissent les élémens nécessaire à une nouvelle fécondation. Il est évident que tous les individus sortis du même œuf, quelles que soient leurs formes, quel que soit l’ordre dans lequel ils se succèdent, sont les fils médiats de la mère qui a pondu l’œuf, du père qui l’a fécondé. Ils sont au même titre les frères de tous les individus produits par une même ponte. Les rapports physiologiques n’ont pas changé de caractère. La famille s’est agrandie, elle s’est, pour ainsi dire, fractionnée ; mais elle est au fond restée la même.

Bien que compliquant parfois d’une manière étrange les phénomènes de la reproduction ordinaire ou de la généagenèse, le polymorphisme ne change rien à cette conclusion. Dans une ruche, les neutres, les mâles et les femelles, issus de la même reine-mère fécondée par un seul père, appartiennent à la même famille. Il en est de même dans une termitière pour les grands rois et les grandes reines, les petits rois et les petites reines, les ouvriers et les soldats, ailés ou non[2]. Darwin a constaté des changemens non moins re-

  1. Pour Vogt, l’espèce est « la réunion de tous les individus qui tirent leur origine des mêmes patrons et qui redeviennent, par eux-mêmes ou par leurs descendans, semblables à leurs premiers ancêtres. » (Lehrbuch der Geologie, Isidore Geoffroy.)
  2. Ces diverses expressions sont celles qu’a employées M. Lespès dans son beau mémoire sur le termite lucifuge (Annales des sciences naturelles, 1856)