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Ces soixante graines produites par le croisement furent toutes semées. Il n’en germa que trois. L’un des hybrides ainsi obtenus périt ; les deux autres se développèrent avec une vigueur supérieure à celle des deux plantes parentes. En revanche, la fécondité se trouva remarquablement diminuée[1]. Un grand nombre de fleurs ou ne se formèrent pas ou avortèrent au sommet et dans le bas de la tige. Celles qui se développèrent produisirent des fruits de grandeur normale et des graines parfaitement conformées. Ces graines furent mises en terre en deux fois les années suivantes ; plus de cent pieds sortirent de ces deux semis. Tous présentèrent sous le rapport du développement et de la fécondité des organes floraux exactement les mêmes caractères que les datura stramonium cultivés à côté d’eux comme termes de comparaison. D’un seul bond, toute cette postérité des deux hybrides était revenue à l’espèce maternelle primitive. Le retour n’a pas toujours lieu avec cette brusquerie. Il exige parfois plusieurs générations. Souvent aussi la descendance des premiers hybrides se répartit entre les deux espèces parentes ; mais en résumé, nous dit M. Naudin, « les hybrides fertiles et se fécondant eux-mêmes reviennent tôt ou tard aux types spécifiques dont ils dérivent, et ce retour se fait soit par le dégagement des deux essences réunies, soit par l’extinction graduelle de l’une des deux. »

Les expériences de ce genre sont généralement plus longues et par cela même plus difficiles à exécuter chez les animaux que chez les plantes. Toutefois les oiseaux offrent aux expérimentateurs des facilités que plus d’un naturaliste, et Darwin entre autres, ont su mettre à profit. Parmi les invertébrés, un certain nombre de groupes se prêteraient aussi très bien sans doute à cet ordre de recherches. Ce qui s’est passé au Muséum est de nature à encourager ceux qui seraient disposés à entrer dans cette voie. En 1859, M. Guérin-Méneville eut l’idée de croiser les papillons du ver à soie de l’allante (bombyx cynthia) avec ceux du ver à soie du ricin (bombyx arrindia). Ces unions furent fécondes. Les œufs qui en résultèrent furent déposés au Muséum dans le local destiné aux reptiles vivans et élevés par M. Vallée, gardien de cette partie de la ménagerie. Grâce à des soins intelligens, ces hybrides se propagèrent pendant huit années. Malheureusement la dernière génération périt tout entière dévorée par les ichneumons. Voici les faits qu’a présentés cette

  1. C’est là chez les hybrides un fait général, dont le mulet offre un exemple chez les animaux. Les organes et les fonctions de la vie individuelle semblent gagner en activité et en énergie ce que perdent les organes et les fonctions de propagation de l’espèce. C’est un cas très remarquable d’application de la loi du balancement organique et physiologique.