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générations, ainsi qu’on l’avait soutenu à tort. Or il n’y a là rien qui dépasse les résultats fournis bien des fois par le croisement des espèces végétales.

Cependant deux expériences ont été poussées assez loin pour qu’on puisse en tirer des conclusions précises. Ce sont celles qui ont porté sur le croisement de la chèvre et du mouton, d’où résultent les chabins ou ovicapres, et sur le mariage du lièvre et du lapin, qui donne naissance aux léporides. Toutes deux ont souvent été invoquées à l’appui de doctrines opposées à celles que je défends. On le pouvait peut-être à l’époque où M. Broca publiait son livre sur l’hybridité, car on ne possédait pas encore un certain nombre de faits que le temps seul a permis de constater. Il n’en est pas de même aujourd’hui. Quiconque examinera sans parti-pris l’ensemble des données maintenant recueillies reconnaîtra que les chabins et les léporides, malgré la prédominance de l’un des deux sangs[1], présentent exactement les mêmes phénomènes que les végétaux et les papillons. Je n’insisterai pas sur l’histoire des premiers. Il suffit de rappeler le témoignage de M. Gay, attestant que chez eux le retour aux espèces primitives s’effectue après quelques générations, et qu’on est obligé de recommencer la série de croisemens assez compliquée qui donne à ces hybrides la proportion des deux sangs nécessaire pour atteindre le but industriel qu’on se propose[2]. L’histoire des léporides est aujourd’hui aussi complète, plus complète même que celle des chabins. Le travail de M. Broca a eu le double mérite d’éveiller l’attention du monde savant en rappelant des faits oubliés, en faisant connaître ceux qu’on observait à ce moment même loin de Paris, et de provoquer des expériences nouvelles dont quelques-unes se poursuivent encore. Quelques détails sont donc ici nécessaires.

Le croisement du lièvre et du lapin a été tenté sur bien des points du globe et par bien des hommes de science ou de loisir. Il a généralement échoué, par exemple au Muséum à diverses reprises entre les mains de Buffon et d’Isidore Geoffroy. Le premier exemple connu de cette hybridation remonte à 1774, et fut constaté près du bourg de Maro, situé entre Nice et Gênes. Une jeune hase, élevée avec un lapereau de son âge par l’abbé Dominico Gagliari, s’accoutuma si bien à son compagnon qu’elle en eut deux fils qui semblent

  1. Les chabins ont trois huitièmes de sang de bouc et cinq huitièmes de sang de brebis. Au Pérou, on renverse le rôle des espèces, et l’on croise le bélier avec la chèvre, tout en conservant la proportion des deux sangs. Les léporides ont trois huitièmes de sang de lapin et cinq huitièmes de sang de lièvre.
  2. La toison des chabins présente un poil à la fois long et souple, ce qui fait employer la peau tannée de ces hybrides à une foule d’usages.