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plus soignée. On peut donc dire qu’une grande partie de la société chrétienne du IIIe siècle se retrouve dans ce cimetière, et qu’on peut la connaître en le parcourant. M. de Rossi n’a pas manqué de le faire, et les résultats de son étude sont pleins d’intérêt. Les inscriptions d’abord, étudiées l’une après l’autre, lui ont fourni une foule de renseignemens curieux. Les plus anciennes sont écrites en grec; c’était encore au commencement du IIIe siècle la langue officielle de l’église, le latin n’est venu qu’après et fort tard. Parmi les épitaphes des papes que M. de Rossi a retrouvées, celle de saint Corneille, mort en 252, est la seule qui soit en latin. Il semble qu’on n’ait abandonné le grec que peu à peu et à regret. Quelques inscriptions du cimetière de Calliste nous font assister au passage d’une langue à l’autre, et elles nous montrent le scrupule qu’on éprouvait à quitter celle dont l’église s’était servie depuis son origine. Dans plusieurs d’entre elles, les mots latins sont écrits en caractères grecs, et il y en a où les deux langues se mêlent d’une façon assez étrange (Julia Claudiane in pace et irene). Ce n’est que dans les galeries les plus récentes que le latin domine sans partage.

Un autre caractère des inscriptions les plus anciennes, c’est d’être très simples. Elles ne contiennent guère que le nom du mort avec quelques pieuses exclamations qui sont semblables au fond, mais très variées dans la forme : « la paix avec toi! — dors dans le Christ; — que ton âme repose avec le Seigneur ! » Non-seulement les distinctions sociales n’y sont pas rappelées, mais il n’y est pas question du temps que le défunt a vécu, ni de l’époque où il est mort. Que font tous ces souvenirs terrestres à celui qui a pris possession de l’éternité? Si courtes qu’elles soient, ces inscriptions ont pourtant beaucoup à nous apprendre. Elles nous assurent que certaines opinions qu’on a crues quelquefois plus nouvelles existaient dans la société chrétienne dès la fin du IIe siècle. On y croyait à l’efficacité des prières des vivans pour les morts. Les exclamations pieuses que je viens de citer sont plus que des souhaits, elles contiennent des demandes qu’on adresse à Dieu, et qu’on suppose écoutées. On y croyait à l’intercession des saints en faveur de ceux qui les prient. Les fidèles qui visitaient avec tant de ferveur le tombeau d’un martyr pensaient bien qu’il s’intéresserait à leur salut et les aiderait à l’obtenir. Dans une des inscriptions recueillies par M. de Rossi, on s’adresse à une jeune fille qui vient de mourir et qu’on croit une sainte, et on lui dit ; « Invoque Dieu pour Phœbé et pour son mari, pete pro Phœbe, et pro virginio ejus[1]. « Plus

  1. On entend par virginius un mari qui n’a pas eu d’autre femme. Ce n’est pas, comme on pourrait le croire, une expression chrétienne. Les païens s’en sont souvent servis. S’ils ne blâmaient pas les secondes noces aussi sévèrement que certains chrétiens rigides, ils voulaient au moins rendre hommage à ceux qui n’avaient pas abusé de la facilité du divorce.