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et en fourrages, si le pays pouvait en fournir, ainsi que le faisaient espérer les indications recueillies. Non content d’entretenir des correspondances au moyen de ses interprètes et agens, sir Robert Napier résolut d’intervenir personnellement et d’ajouter l’autorité de sa parole aux assurances pacifiques qui étaient publiées en son nom. Dès qu’il put quitter Sénafé, il se porta avec un petit détachement jusqu’à Addigrafat, à trois journées de marche en avant, Là, il eut avec un des princes du pays, Kassa, le principal chef du Tigré, une entrevue dont les résultats furent des plus satisfaisans. Le concours de ce chef fut dès ce moment assuré à l’armée. On ne lui demandait point de contingent de troupes, les Anglais n’en avaient que faire ; mais il promettait d’inviter les indigènes à apporter aux Anglais leurs denrées et de faciliter lui-même la réunion des approvisionnerons nécessaires à l’armée. Ce fidèle auxiliaire rendit des services précieux pendant tout le temps de la campagne. Les dollars, répandus à profusion à partir de ce jour, achevèrent de gagner la confiance des Abyssins. Ainsi, dès ses premiers pas dans ces régions inconnues, l’armée voyait disparaître une double difficulté, la crainte de rencontrer des populations hostiles et de ne pouvoir tirer aucune ressource des districts qu’elle allait traverser. C’est ici le lieu de donner quelques détails sur le plan de campagne adopté et sur le pays qui allait être le théâtre de la guerre.

Grâce au choix du lieu de débarquement, l’armée anglaise pouvait être portée en quelques marches sur le plateau d’Abyssinie, dont le climat était frais et salubre ; c’était un grand avantage. L’inconvénient, c’est que le point de départ se trouvait ainsi fort éloigné du point d’arrivée. En débouchant à Sénafé, on était à une distance énorme de Magdala, l’objectif de la campagne, le lieu où l’on savait que les captifs étaient renfermés et où l’on espérait rencontrer l’armée de Théodoros. Par cette route, le corps expéditionnaire avait à parcourir une distance de près de 650 kilomètres avant de joindre son ennemi. Le pays était peu connu ; les relations des voyageurs qui contenaient quelque mention de cette partie de l’Abyssinie ne pouvaient faire prévoir en rien les difficultés inouïes qu’on devait y rencontrer. Une fois arrivé à Sénafé, on pouvait hésiter entre deux lignes d’opérations. L’une suivait à très peu de distance le revers oriental du plateau abyssin, dont la crête s’étend du nord au sud dans une direction presque droite. Ce fut celle que l’on choisit : elle était la plus courte, et en la suivant, comme on se tenait toujours très près de la crête de partage des eaux, on franchissait à peu de distance de leurs sources les fleuves qui découpent si profondément le massif de l’Abyssinie. En s’engageant dans l’intérieur, on aurait sans doute tiré plus de ressources du pays ; mais on aurait rencontré les formidables obstacles de ces fleuves, coulant