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Tacazzé, sur une longueur de 14 étapes. La marche sur ce plateau fut relativement facile, bien que les troupes eussent à souffrir de la rigueur du climat, qui, à cette altitude de plus de 3,000 mètres, fait succéder des nuits glaciales à des journées où le thermomètre marque souvent 30 degrés. Les vivres commençaient aussi à manquer ; jusque-là, la sollicitude du général en chef, heureusement secondé par l’habile et infatigable concours des agens politiques, avait réussi à tirer du pays tout ce qu’il tenait en réserve de grains et de fourrages ; mais on approchait de Magdala, et, pendant sa marche sur cette forteresse, Théodoros avait impitoyablement rasé le pays environnant. Les quelques villages disséminés sur le plateau de Wadela ne présentaient au moment du passage des Anglais. que des monceaux de ruines ; quelques pauvres habitans osaient à peine se montrer au milieu des décombres de leurs foyers. Ces difficultés avaient été prévues ; des convois étaient acheminés des places de dépôt échelonnées en arrière. Quelques-uns étaient conduits par des auxiliaires du pays, dont l’emploi fut une précieuse ressource ; il fallait les attendre. Le général en chef n’avait pas cessé d’ailleurs d’entretenir des relations avec les chefs indigènes, et, s’il n’était pas possible d’en tirer les mêmes utiles services qu’avait rendus Kassa dans le Tigré, au moins l’armée fut-elle assurée de leurs bonnes dispositions. Leur haine commune contre l’ennemi qu’ils redoutaient tous également, Théodoros, était un sûr garant de leur fidélité.

Parvenue sur ce plateau après une suite d’efforts surhumains et de marches sans exemple, l’armée anglaise, si près du but, pouvait croire que ses épreuves étaient terminées. Quels obstacles auraient pu l’effrayer d’ailleurs après l’ascension de l’amba Alaji, ou celle encore plus rude des bords escarpés du Tacazzé ? Cependant les plus terribles fatigues l’attendaient dans les trois ou quatre dernières étapes qui la séparaient de Magdala. On a vu plus haut qu’à l’extrémité sud du plateau de Wadela le terrain tombe brusquement et à pic dans une vallée profonde de 1,200 mètres, gigantesque crevasse qu’on croirait produite dans le sol par quelque cataclysme récent. De l’autre côté, de ce gouffre, au fond duquel coule la rivière Djedda, le plateau de Dalanta, semblable d’aspect et d’altitude à celui de Wadela, se relève tout aussi brusquement, de sorte qu’il faut arriver au bord même de l’abîme pour en soupçonner l’existence ou en sonder la profondeur : de Wadela à Dalanta, l’œil n’aperçoit aucune interruption. La direction connue de la route frayée par Théodoros du plateau de Wadela jusqu’à Magdala assurait à l’armée anglaise de n’être pas arrêtée bien des semaines au bord de. cet obstacle. Le général, en chef en fit lui-même la reconnaissance ; la réalité dépassait ce que l’imagination, familiarisée