Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 80.djvu/570

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

caresses. Les diplomates du tsar n’eurent pas de peine à savoir exactement quelles étaient les dispositions du prince des Serbes. On pressentait bien que déjà Milosch ne serait pas un instrument docile aux mains de la Russie, comme les hospodars de Jassy ou de Bucharest ; d’après les confidences involontaires des députés serbes, il fut évident pour les politiques de Saint-Pétersbourg que ce terrible personnage, rusé, actif, ambitieux, jaloux de l’indépendance de son pays, pourrait devenir à l’occasion un ennemi de la politique russe. « Depuis ce moment, dit un homme très initié aux détails de cette histoire, on le fit surveiller de près, on lui suscita des entraves dans l’intérieur, et on commença à préparer de longue main les moyens de le faire tomber[1] »

Il serait trop commode aux apologistes du prince Milosch d’expliquer sa chute par la seule hostilité de la Russie. Il faut tenir compte aussi des fautes du despote. Assurément l’histoire doit constater que la Russie a eu sa large part dans les catastrophes que nous avons à raconter ; la Russie avait intérêt à la chute de Milosch, et elle a voulu en tirer profit. Prenons garde pourtant : si la Russie a renversé Milosch, Milosch lui a fourni des armes. Justifier le prince des Serbes en accusant la diplomatie moscovite, ce serait provoquer des récriminations toutes prêtes, car enfin les faits sont là, on connaît les actes du prince, on l’a déjà vu obligé de demander grâce pour son despotisme en vue des services qu’il rendait, et, maintenant qu’il se croit sûr du lendemain, on va voir ce despotisme se donner toute carrière. Nous ne voulons ni absoudre Milosch ni diminuer le rôle de la politique russe. Que le fondateur de la principauté serbe ait ses accusateurs et ses apologistes sur le théâtre où s’est déployée sa force, rien de plus naturel ; pour nous, simples spectateurs à distance, il n’y a ici qu’un intérêt, le désir de connaître la vérité, afin de savoir en même temps quelles sont les vues de la politique russe sur l’Europe orientale.

Un point acquis, ce nous semble, c’est que les Russes, soit à propos du traité d’Akermann, soit au sujet du hatto-chérif de 1830, ont voulu servir la cause des Serbes jusqu’à un certain degré, sans permettre à ceux-ci d’aller trop loin. L’établissement de la dynastie des Obrenovitch s’est fait en dehors de leur action, disons plus, malgré eux. Dès le lendemain du jour où Milosch entre à Belgrade en maître, les surveillans dont on nous parlait tout à l’heure, les surveillans russes, arrivent par bataillons. Des surveillans, est-ce dire assez ? Ce sont déjà des censeurs, ils seront demain des rivaux.

  1. . Le docteur Cunibert, dont j’ai plusieurs fois invoqué le témoignage. — Voyez Essai historique sur les révolutions et l’indépendance de la Serbie, Leipzig 1855, t. II, p. 27.