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avertissement, il avait vu de près l’abandon du peuple et l’amertume de l’exil, il se savait en butte aux intrigues de la Russie ; sa conscience lui disait qu’il avait besoin d’obtenir pour lui-même ce qu’il accordait à ses ennemis, le pardon des fautes les plus graves. Calculée ou non, sa clémence était sincère, et il ne faut pas oublier que les conjurés de 1835 ont été maintenus par Milosch dans les plus hautes charges de l’état, que ce sont eux enfin qui l’ont renversé.


III

Milosch avait promis une charte constitutionnelle qui devait être proclamée à la skouptchina de février 1835, trois semaines après les événemens que nous venons de raconter ; il tint parole. Le 14 février, les députés se réunirent à Kragoujevatz. Le prince avait voulu que ce fût la plus nombreuse, la plus solennelle des assemblées nationales ; il y avait convoqué les premiers kmètes de chaque village, un député sur cent familles, des représentans des arts et métiers de chaque ville. Plus de quatre mille personnes avaient répondu à l’appel. Le 14 février était le jour de la Purification ; les Serbes choisissent volontiers quelque grande fête de l’église pour inaugurer leurs skouptchinas. Après les cérémonies religieuses, on se rassembla dans une vaste prairie où se dressait une sorte de tente destinée au prince, à l’archevêque, aux premiers dignitaires. On y remarquait même Stoïan Simitch, celui qui, un mois auparavant, jurait la mort de Milosch ; moins arrogant et plus rusé, Abraham Petronievitch évitait de se montrer à la foule après la honte qu’il venait de subir.

Le prince salua l’assemblée, et donna ordre à Davidovitch de lire le discours qu’il lui avait dicté. L’orateur expliquait d’abord pourquoi la Serbie n’avait pas encore une constitution. C’est depuis une année seulement que les difficultés entre la Serbie et la Porte au sujet de la délimitation des frontières avaient été aplanies ; depuis une année seulement, la Serbie formait un état. Fallait-il se presser ? fallait-il, par des actes irréfléchis, s’exposer à revenir sur ses pas, et par des paroles imprudentes courir le risque d’avoir à se démentir ? La fondation des états actuels a demandé des siècles ; toujours cependant il faut y ajouter quelque chose : une année pouvait-elle suffire à l’organisation définitive de la Serbie ? a Le peuple serbe, — nous citons les paroles mêmes de Milosch, car ce n’est point assez d’en résumer le sens, — le peuple serbe a plusieurs particularités nationales qu’il faut d’abord tâcher d’adapter à la civilisation et aux lumières de l’Europe, si nous voulons prendre