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mouvement, il redouta quelque chose de sinistre[1]. On vit bientôt de quoi il s’agissait : Simitch était pâle comme un mort. Si le prince eût permis seulement que la plainte des knèzes fût prononcée, l’élan populaire était si vif, l’enthousiasme de la constitution si unanime, que nulle force humaine n’aurait pu soustraire l’ennemi de Milosch à la vengeance de la foule. Heureusement, dès qu’il entendit les premiers mots : « ô prince, les traîtres qui sont près de toi,… » il couvrit leur parole de sa voix retentissante. D’autres essayèrent de parler, ce fut en vain. Le prince étouffa les protestations de ses amis pour sauver le plus perfide de ses adversaires.

Un autre épisode qui ne doit pas être oublié, ce fut la remise à Milosch des présens que lui avait votés la skouptchina précédente. Sur la proposition du tribunal suprême et aux acclamations de l’assemblée nationale de 1834, il avait été décidé qu’on offrirait au prince un sabre d’or garni de diamans avec une coupe du même métal. Ces deux objets avaient été exécutés à Vienne avec une rare perfection. Sur la gaîne du sabre on lisait ces mots tracés en pierres précieuses : « à son kniaze Milosch Obrenovitch la Serbie reconnaissante. « Le 16 février 1835, lendemain du jour où la constitution avait été proclamée, dès que Milosch eut pris place dans la loge qui dominait la foule, les magistrats suprêmes, et parmi eux Miléta Radoïevitch, le plus modéré des chefs de la conspiration récente, lui présentèrent sur des coussins de velours le sabre, la coupe pleine de vin, un pain et du sel. Un discours tout oriental exprimait avec des hyperboles sans fin l’admiration des Serbes, et donnait le sens de ces emblèmes. « Gracieux seigneur, était-il dit, nous apportons à votre altesse quatre présens qui répondent aux vôtres, le sel et le pain, le sabre et la coupe : le sel et le pain pour nos prisonniers rachetés et nourris par vous, le sabre pour les armes que vous avez consacrées à la défense de notre pays, la coupe pour ce calice de salut et de bonheur que vous nous avez donné hier… Que l’édifice élevé par vos mains soit aussi durable que les gemmes du sabre et de la coupe, qui n’ont rien à craindre de la faux du temps et des hommes ! Nous nous aimons mutuellement, comme le pain et le sel se marient ensemble, et de même que les gouttes de vin ne sont pas séparées, de même nous ne nous séparerons jamais de vous et de votre haute famille, ni vous et votre famille vous ne vous séparerez de nous. » Après des remercîmens dans le même langage, Milosch terminait ainsi : « Nous pouvons tous manquer ; peut-être ai-je fait bien des fautes et en ferai-je encore ; je proteste du moins que mes intentions ont toujours été pures et dirigées vers le bien de la patrie ; elles seront toujours les mêmes. Puissent le pain que

  1. M. le docteur Cunibert, médecin du prince Milosch.