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lui imposaient. Libre alors de suivre la route que lui traçait son penchant personnel comme les intérêts de son pays et de sa famille, il aurait saisi la première occasion de se débarrasser du joug de la Russie, qui ne pesait à personne plus qu’à lui.

« Ces remarques, Milosch m’ordonnait de les présenter au consul anglais comme des observations à moi, et d’ajouter que cette preuve palpable de sa puissance et de sa bonne volonté, l’Angleterre pouvait la donner aux Serbes en faisant évacuer la ville de Belgrade par les Turcs, qui y étaient restés grâce à l’arbitrage de l’empereur Nicolas. »


La mission du docteur Cunibert auprès du consul anglais ne pouvait échapper à la vigilance du parti russe ; quelques semaines après, le cabinet de Saint-Pétersbourg envoyait auprès de Milosch un de ses plus habiles diplomates. C’est le 27 octobre 1837 que le prince Dolgorouki alla trouver le prince des Serbes à Kragoujevatz. Quelle différence entre le prince Dolgorouki et ce baron de Buchmann qui était venu l’année précédente signifier à la Serbie les volontés du tsar ! Le nouvel envoyé était aussi courtois, aussi flatteur, aussi insinuant que le premier s’était montré hautain et méprisant. Au fond, les prétentions étaient les mêmes. Le prince Dolgorouki voulait bien reconnaître que son voyage à Kragoujevatz avait dissipé chez lui beaucoup de préventions injustes ; la Serbie sous le prince Milosch n’était point ce que disaient ses détracteurs. L’activité du commerce, la prospérité de l’agriculture, le bien-être et le contentement du peuple l’avaient frappé. Il avait vu les écoles ouvertes à la jeunesse, les édifices publics récemment construits, toutes les marques d’une sollicitude qui faisait honneur au chef de l’état. Évidemment ceux qui accusaient le prince Milosch d’avarice, de monopole, de malversation, étaient des ennemis passionnés, et il se promettait bien d’éclairer à ce sujet la religion de l’empereur. Tout cela pourtant ne suffisait pas ; il fallait quelque chose de plus pour détruire la mauvaise opinion que le tsar Nicolas avait conçue du prince Milosch. Que fallait-il donc ? Ne plus solliciter l’appui de l’Angleterre, et avant toutes choses établir le sénat promis aux Serbes par le hatti-chérif de 1830, établir cette assemblée, ce conseil des notables (peu importe le nom) qui devait gouverner le pays avec Milosch, conseil inamovible, conseil destiné à empêcher le retour du despotisme. — Non-seulement le tsar interprétait à sa manière le hatti-chérif de 1830 en réclamant pour la Serbie ce sénat que l’on plaçait d’avance au-dessus du prince, mais il prétendait dicter à Milosch la liste des hommes qui devaient le composer. Ces hommes, est-il besoin de le dire ? c’étaient Stoïan Simitch, George Protitch, Abraham Petronievitch, Voutchitch, les conjurés de 1835, les ambitieux dont le consulat russe d’Orsova entretenait les