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Au reste, ils ne disputèrent pas longtemps, car l’ancien chef de l’armée de la foi avait d’autres préoccupations en tête. Pour le distraire conformément à ses goûts bien connus, M. de Chabrol, avait songé à faire venir exprès pour lui une troupe d’ingénieurs et de militaires[1]. Laissant le plus souvent à ses collègues du sacré-collège le soin de discuter les questions purement canoniques, le cardinal Ruffo se mit dès le lendemain de son arrivée à parcourir avec cette compagnie de son choix tout le littoral et toutes les montagnes des environs. L’objet principal de ses études pendant les longs mois qu’il dut passer près du saint-père fut de se rendre stratégiquement compte de la façon dont il faudrait, le cas échéant, attaquer ou défendre cette position de Savone. Si on l’avait laissé faire, il y aurait élevé des retranchemens. Sur ces entrefaites, le cardinal Doria, évêque de Gênes, qui n’avait point été tout d’abord porté sur la liste dressée par l’empereur, était venu de son côté offrir son concours aux membres de la députation. Peu s’en fallut, tant était grande la liberté dont jouissait Pie VII, que le commandant Lagorse ne se refusât à l’admettre à l’audience pontificale, et ce ne fut pas sans quelque peine que ses collègues arrachèrent pour lui cette faveur au trop rigide gouverneur[2]. Le cardinal Roverella, dont le pape avait parlé plusieurs fois avec affection, étant survenu lui-même animé d’intentions toutes semblables à celles qu’avaient déjà manifestées les autres membres du sacré-collège, la confiance de M. de Chabrol dans le succès définitif de la négociation s’en accrut beaucoup. Il ne restait plus désormais qu’à attendre l’arrivée des évêques envoyés par le concile et par l’empereur ; on chercherait alors les moyens de résoudre par un commun effort les difficultés pendantes. D’après le cardinal Roverella, le plus sûr était « de les attaquer indirectement. » C’était aussi l’avis de M. de Chabrol, et nous allons voir qu’il ne s’y épargna point.

  1. « M. le cardinal Ruffo paraît s’accommoder de ma maison ; j’ai toujours pour lui des militaires et des ingénieurs, qu’il préfère aux théologiens. » M. de Chabrol a M. Bigot de Préameneu, ministre des cultes, 2 septembre 1811.
  2. « Le cardinal Doria ne m’avait pas été annoncé par votre excellence. Une lettre du cardinal Fesch dont il était porteur et la parole qu’il a donnée d’avoir écrit à l’empereur dans le sens qui lui avait été indiqué ont paru à ses collègues un double titre pour partager le libre accès qu’ils ont auprès du pape. J’aurais désiré un ordre positif de votre excellence ; mais comme votre lettre me prescrit de me conformer à tout ce que feront ces messieurs, j’ai cru devoir déférer de bonne grâce au désir qu’ils m’ont exprimé… » M. Lagorse à M. Bigot de Préameneu, ministre des cultes, 2 septembre 1811.