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seulement des affranchis, c’étaient des parens même de l’empereur, un cousin de Domitien, un consul, Flavius Clemens, dont les enfans devaient hériter de l’empire, qui embrassait avec sa famille la religion nouvelle. Il n’était sans doute pas le seul, et beaucoup d’hommes importans et de grands seigneurs avaient fait comme lui. Ces grands seigneurs, depuis les fouilles de M. de Rossi, nous les connaissons. Nous savons quelles sont les familles nobles dans lesquelles le christianisme s’est d’abord propagé. Il a retrouvé dans la crypte de Lucine et dans le cimetière de Calliste assez de tombes de personnes de haut rang pour en refaire des généalogies entières. On y voit des petits-fils d’Atticus et des descendans de Marc-Aurèle. On y rencontre, à côté de milliers de tombes obscures, quelques-uns des beaux noms de l’ancienne Rome, les Cæcilii, les Cornelii, les Æmilii, et des représentans des illustrations plus récentes de l’empire, les Iallii, les Pomponii Bassi. M. de Rossi a même pu lire l’épitaphe d’un Pomponius Græcinus, sans doute un descendant de cette Pomponia Græcina qui fut accusée sous Néron de s’être livrée à une superstition étrangère. Voilà une raison de plus de croire qu’elle était chrétienne, et qu’il y avait de grands personnages parmi les premiers disciples des apôtres.

Les diverses opinions de M. de Rossi que je viens d’indiquer seront, je crois, facilement accueillies de ceux qui étudient les origines du christianisme. J’arrive à celle qui risque de rencontrer le plus de contradicteurs. M. de Rossi se sert très souvent dans son second volume des Actes des Martyrs, et il leur accorde une confiance dont on est surpris. Il aura beaucoup à faire pour les remettre en crédit. Le travail de la critique depuis deux siècles en a fort ébranlé l’autorité, et ce ne sont pas les incrédules et les libres penseurs qui les ont le plus maltraités, ce sont des chrétiens sincères et convaincus, dont le témoignage n’est pas suspect. Personne n’a été plus sévère pour eux que Tillemont; il a porté dans l’histoire des premiers siècles du christianisme, en même temps qu’une érudition merveilleuse, cette indépendance d’esprit, cette haine de l’exagération, ce bon sens éclairé, qui depuis saint Martin, l’ennemi des saints apocryphes et des faux miracles, jusqu’au siècle dernier, semblent avoir été le caractère de l’église de France. Aujourd’hui d’autres maximes l’emportent, et l’absurdité, au lieu d’être une raison de se défier, est donnée pour un motif de croire. Si Tillemont publiait de nos jours ses Mémoires sur l’histoire ecclésiastique, il est probable qu’il scandaliserait les faibles, qu’il indignerait les forts, et qu’il passerait, malgré sa dévotion, pour un chrétien douteux. De son temps, il répondait au sentiment général, qui voulait le moins possible admettre des choses déraisonnables, et son ouvrage