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a transformé en cinq ans le radis sauvage (raphanus rafanistrum), regardé par tous les cultivateurs comme une mauvaise herbe. Entre les mains de cet habile jardinier-chef des pépinières du Muséum, une racine immangeable et pesant au plus 22 grammes s’est métamorphosée en un légume excellent, dont le poids varie de 300 à 600 grammes et plus. Tous ces résultats ont été obtenus surtout grâce au changement dans les conditions d’existence imposé à ces végétaux, qu’on a rendus bisannuels, d’annuels qu’ils étaient naturellement.

Il serait facile de citer bien d’autres faits de ce genre à l’appui de ma manière de voir, qui fut au fond celle de Buffon comme de Geoffroy, et les plus frappans peut-être seraient fournis par Darwin. Aussi dans la discussion que je pourrais soulever à ce sujet trouverais-je des auxiliaires jusque chez ses plus dévoués disciples. Je me borne à mentionner Mlle  Royer, qui se sépare ici complètement du savant qu’elle interprète. Dans une note assez étendue où elle discute la question d’une manière générale, elle arrive à conclure que « les conditions complexes de la vie déterminent et règlent toute variation en premier comme en dernier ressort. » Ces quelques mots résument d’une manière fort heureuse tout ce que nous savons sur cette grave question. Au reste, à bien des reprises, et surtout dans son livre sur l’Influence de la domestication, Darwin lui-même atténue ce qu’ont d’évidemment exagéré quelques-unes de ses assertions relatives au peu d’influence des actions de milieu, et il admet qu’elles commandent la transformation des races les plus accusées[1]. Il me semble que sur cette question nous serions aisément d’accord, et que la différence des appréciations tient surtout à ce que le savant anglais donne aux expressions de « milieu, » de « conditions d’existence, » un sens plus restreint que je ne le fais[2].

Chez toutes les espèces qui ont vécu constamment en pleine liberté, on constate un fait que j’ai déjà indiqué et dont il reste à faire ressortir l’importance. En tant qu’elles sont comparables par le degré d’organisation à nos espèces domestiques, aucune d’entre elles ne présente de variations à beaucoup près aussi nombreuses ni aussi considérables que ces dernières. En outre, lors-

  1. De la variation des animaux et des plantes. Voir surtout ce que dit l’auteur au chapitre XII des conditions de vie capables d’annuler les lois de l’hérédité, et au chapitre XXII des causes de la variabilité.
  2. Ces expressions doivent être prises dans un sens absolu et comprendre tout ce qui peut exercer une influence directe ou indirecte sur l’être vivant. On n’a aucune raison pour exclure des conditions d’existence d’un être quoi que ce soit pouvant avoir sur lui une action, et c’est l’ensemble de ces conditions qui constitue le milieu où il vit.